Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/191

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avait ôté toutes ses forces : il était entièrement étendu dans la charrette. La contenance de Duroi était ferme ; Bourbotte fut celui qui montra le plus de fermeté ; il était bien assis et regardait autour de lui. Ses derniers mots ont été : Vive la république ! »

Hélas ! vous le voyez, fils de Joël, les divisions, les haines, les jalousies implacables des républicains entre eux n’ont profité qu’à nos ennemis ! Oui, c’est à leur unique avantage que les plus grands citoyens, les serviteurs les plus dévoués de la république, depuis Vergniaud jusqu’à Danton et à Robespierre, ont été égorgés par des mains fratricides sur l’épouvantable autel de la rivalité politique ! Dites : la contre-révolution thermidorienne eût-elle été, non pas même possible, mais seulement imaginable, si ce bataillon sacré d’illustres patriotes fût resté fraternellement uni pour la défense, pour l’affermissement, pour le triomphe de la république ? Ah ! certes, elle ne subit qu’une éclipse ; nous la verrons de nouveau resplendir et peut-être s’éclipser encore, jusqu’au jour où elle rayonnera pour jamais sur le monde régénéré ! Certes, la plupart des conquêtes de la révolution de 1789-1793 sont et seront impérissables, mais que de maux, que de luttes sanglantes à braver pour regagner ce que nous avons momentanément perdu par la détestable aberration des meilleurs citoyens ! Ah ! pour l’expiation des haines insensées qui les divisaient, que sur eux retombe tout le sang généreux que la réaction de thermidor a versé, va verser encore ! que sur eux retombent les larmes brûlantes des orphelins, des veuves, des vieillards dont la détresse eût été soulagée, grâce aux admirables décrets de 1793 et de 1794 sur l’assistance, sur l’éducation publique, décrets mis à néant par les thermidoriens, ainsi que toutes les mesures de réforme sociale décrétées alors que le peuple exerçait sa souveraineté incarnée dans la dictature de la Convention. Désormais les déshérités gémissent et tremblent devant les fureurs contre-révolutionnaires. À Avignon, à Tarascon, à Lyon, à Marseille, les patriotes prisonniers sont égorgés sans que les égorgeurs aient même la terrible excuse de ceux-là qui, en septembre, mettaient à mort les traîtres au nom du salut public et de la patrie menacée au dedans et au dehors ! Les victimes de la réaction royaliste ont été dix fois plus nombreuses que celles de la terreur… Ce qu’il y eut d’égorgements à Lyon dépasse toute créance, et cela en pleine paix, sans provocation, sans motif. En un seul jour et dans une seule prison, cent quatre-vingt-dix-sept détenus, parmi lesquels se trouvaient trois femmes, furent assassinés par la jeunesse dorée. À Marseille, au fort Saint-Jean, deux cent