Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/300

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plus grotesque, plus pileux ou plus grossier que cette roture anoblie de la veille. Ce n’était pas tout : le mal engendre le mal ; les courtisans parvenus sont aussi avides, aussi insatiables que les courtisans de vieille race. Vous vous souvenez, fils de Joël, du fameux livre rouge, cet infâme registre des dilapidations royales où étaient inscrits les dons scandaleux accordés aux courtisans : ces prodigalités insensées se renouvelaient sous l’empire ; il avait été donné en une seule année (1808), DIX-HUIT MILLIONS, moitié en argent comptant, moitié en rentes cinq pour cent, à trente-sept personnages, maréchaux, généraux ou ministres, pour acheter des hôtels, et fonder des majorats, sans parler des sommes énormes prodiguées par Napoléon Ier à sa famille, à seule fin, disait-il, de soutenir dignement l’éclat de leur rang !!! Or, malgré la terreur qu’inspirait le despotisme de l’empereur, malgré le silence de la presse bâillonnée, ces retours incroyables aux scandales de l’ancienne monarchie soulevaient l’indignation des honnêtes gens ; ceux qui exprimaient hautement leur indignation allaient pourrir dans de nouvelles bastilles ; les lettres de cachet étaient sous une autre forme rétablies, ainsi qu’avant 1789. Un décret du 10 mars 1807 déclara qu’il y aurait désormais des prisonniers d’État, (à savoir des citoyens condamnés, sans jugement). Un conseil privé décidait seul, sans contrôle, sans appel, de l’application de la peine. Tous les ans, le dossier de chaque prisonnier devait être examiné, mais sa détention pouvait se prolonger indéfiniment. Le conseil privé plaçait aussi les citoyens sous la surveillance de la police ou les internait sur un point quelconque du territoire, arbitraire et despotisme plus intolérables que ceux contre lesquels la France s’était soulevée en 1789. On redoutait Vincennes sous l’empire autant que la Bastille sous la royauté. L’oppression au dedans, et au dehors la guerre et la conquête, tel devait être forcément, fatalement le système de Napoléon Ier, système qui devait non moins fatalement, non moins forcément conduire ce conquérant à sa perte, malgré la puissance de son génie guerrier. La paix de Tilsitt fut éphémère.

Pendant sa courte durée, l’Angleterre seule continuait sa lutte contre la France… Napoléon, momentanément en paix avec le continent ou le dominant par ses armées, entreprit contre la Grande-Bretagne (1807) le blocus continental. En lui fermant tous les ports des États riverains, il causa un dommage incalculable à cette puissance essentiellement commerçante, en lui interdisant ainsi les débouchés habituels des produits de ses immenses manufactures. Seul,