Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 2.djvu/115

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

cevant qu’au loin l’aube naissante blanchissait déjà faiblement l’horizon, reprit en serrant sa femme entre ses bras :

— Loin de nous ces affreuses pensées, ma Loyse !… Le jour va bientôt paraître… quelques instants nous restent à peine… qu’ils ne soient pas attristées davantage… Parlons de toi, de cet espoir à la fois si cruel et si doux… Mère ! toi, mère !… Ah ! pourquoi faut-il que l’esclavage me fasse prononcer avec angoisse, presque avec effroi, ce mot béni des Dieux pourtant : mère !…

— Mon époux bien-aimé ! — reprit Loyse d’une voix pleine de larmes, et comme impatiente d’abréger l’entretien, — tu l’as dit, le jour va bientôt paraître… Il y a loin d’ici à Orange ; il te faut sortir du parc sans être vu… Les esclaves des champs vont bientôt être conduits à leurs travaux ; leurs gardiens pourraient te rencontrer… éloigne-toi, je t’en supplie… Adieu… adieu !…

— Loyse, quelques moments encore !… Attends au moins que la première clarté du matin m’ait permis de voir tes traits chéris ! Il y a si longtemps, hélas ! que je n’ai joui de ce bonheur ! car c’est la nuit, toujours la nuit, qu’il m’est seulement possible de venir près de toi…

Et Sylvest, enlaçant tendrement de ses bras sa femme, toujours assise sur le banc de mousse, est tombé à ses genoux, a pris ses mains, les a baisées dans un ravissement qui lui faisait oublier un instant les misères et les douleurs de sa vie d’esclave… Le jour naissant colorait les arbres d’un rose pâle : les citronniers, par cette fraîcheur matinale, répandaient une senteur plus pénétrante et plus douce ; des milliers d’oiseaux commençaient à gazouiller sous les feuilles aux approches du soleil levant… Et il y eut bientôt assez de clarté au ciel pour que Sylvest pût remarquer que ta femme détournait la tête et tenait sa figure cachée dans une de ses mains ; puis il vit, à l’agitation de son sein, qu’elle versait des larmes et tâchait d’étouffer ses sanglots.

— Tu pleures !… — s’écria-t-il, — tu détournes ta vue de moi… Loyse, au nom de notre amour, dis, qu’as-tu ? réponds-moi !…

— Mon ami, je t’en conjure ! — reprit-elle en essayant de dérober