Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 2.djvu/14

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

une dernière fois que rien ne manquait à la défense du char qui portait notre famille. Ma mère Margarid, aussi tranquille que lorsqu’elle filait sa quenouille au coin de notre foyer, était debout, appuyée à la membrure de chêne dont est formée la caisse du char ; elle engageait ma femme Hénory et Martha, femme de Mikaël, à donner plus de jeu aux courroies qui assujettissent à des chevilles plantées sur le rebord du chariot le manche des faux que l’on manœuvre pour le défendre, de même que l’on manœuvre les rames attachées au plat-bord d’une barque (A).

Plusieurs jeunes filles et jeunes femmes de nos parentes s’occupaient d’autres soins : les unes, à l’arrière de la voiture, préparaient, au moyen de peaux épaisses tendues sur des cordes, un réduit où nos enfants devaient être à l’abri des flèches et des pierres lancées par les frondeurs et les archers ennemis. Ces enfants riaient et s’ébattaient déjà, avec de joyeux cris, dans cette logette à peine achevée. Pour plus de préservation encore, Mamm’Margarid, veillant à toute chose, fit placer des sacs remplis de grain au-dessus du réduit. D’autres jeunes filles accrochaient au long des parois intérieures du char des couteaux de jet, des épées et des haches, qui, le péril, venu, ne pesaient pas plus qu’une quenouille à leurs bras blancs et forts. Deux de leurs compagnes, agenouillées près de Mamm’Margarid, ouvraient des caisses de linge et préparaient l’huile, le baume, le sel et l’eau de gui, pour panser les blessures, à l’exemple des druidesses, dont le char secourable était voisin.

À notre approche, nos enfants sont accourus gaiement, du fond de leur réduit, sur le devant de la voiture, d’où ils nous ont tendu leurs petites mains. Mikaël, étant à pied, prit dans ses bras son fils et sa fille, tandis que ma femme Hénory, pour m’épargner la peine de descendre de cheval, mit tour à tour entre mes bras, du haut du char, ma petite Siomara et mon petit Sylvest. Je les assis tous les deux sur le devant de ma selle, et, au moment d’aller combattre, j’eus grand plaisir à baiser leurs têtes blondes. Mon père Joel dit alors à ma mère :