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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 2.djvu/15

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— Margarid, si la chance tourne contre nous, si le char est assailli par les Romains, ne fait lâcher les dogues de guerre qu’au moment de l’attaque ; ces braves chiens ne seront que plus furieux de leur longue attente, et ne s’écarteront pas.

— Ton conseil sera suivi, Joel, répondit Mamm’Margarid. Vois maintenant si les courroies des faux leur donnent assez de jeu pour la manœuvre.

— Oui, elles en ont assez, répondit mon père après avoir visité une partie des courroies ; puis, examinant l’armement des faux qui défendait l’autre bord du chariot, Joel reprit : — Femme ! femme !… à quoi ont pensé ces jeunes filles ?… Vois donc… Ah ! les têtes folles ! de ce côté-ci, le tranchant des faux est tourné vers le timon, et de l’autre, leur tranchant est tourné vers l’arrière…

— C’est moi qui ait fait ainsi disposer les armes, a dit ma mère.

— Et pourquoi tous les tranchants des faux ne sont-ils pas tournés du même côté, Margarid ?

— Parce qu’un char est presque toujours assailli à la fois par l’avant et par l’arrière ; dans ce cas, les deux rangs de faux agissant en sens inverse l’un de l’autre, sont de meilleure défense… Ma mère m’a enseigné cela ; je l’enseigne à ces chères filles.

— Ta mère était plus judicieuse que moi, Margarid… La bonne fauchaison est ainsi plus certaine… Viennent les Romains à l’assaut du char ! têtes et membres tomberont fauchés comme des épis mûrs en temps de moisson ! et fasse Hésus qu’elle soit bonne, cette moisson humaine !

Puis, prêtant l’oreille, mon père nous dit, à Mikaël et à moi :

— Enfants, j’entends les cymbales des bardes et les clairons de la trimarkisia… Rejoignons nos rangs… Allons, Margarid, allons, mes filles, au revoir, ici… ou ailleurs…

— Ici ou ailleurs, nos pères et nos époux nous retrouveront pures de tout outrage… répondit ma femme Hénory, plus fière, plus belle que jamais.