Mais l’eunuque, barrant avec son gros corps l’étroit passage du couloir, força l’esclave de rester à sa place, et lui dit :
— Quoi ! maintenant, tu veux t’en aller sans parler à ta sœur ? Qu’est donc devenue cette furieuse tendresse de tantôt pour la fille de ta mère ?…
— Non, ce n’est pas là ma sœur… ou, si c’est elle… je n’ai plus de sœur… Laisse-moi fuir !…
— Ce n’est pas ta sœur ? et pourquoi ? — reprit l’eunuque en éclatant de rire. — Est-ce parce que, belle comme Vénus, elle s’est tout à coup changée en vieille hideuse comme l’une des trois Parques ?… Et avant-hier donc, si tu l’avais vue… nue comme Cypris sortant des flots, se frotter d’une huile magique, et aussitôt ce beau corps se couvrir d’un léger duvet, ces bras charmants s’amoindrir et disparaître sous de longues ailes, ces jambes de Diane chasseresse et ces pieds délicats se changer en serres d’oiseau de nuit… son cou gracieux se gonfler, s’emplumer, et cette tête adorée prendre la figure d’une orfraie qui, poussant trois cris funèbres, s’est envolée à travers la voûte de la salle (K)…
— Laissez-moi fuir… vous me rendrez fou !…
— Qu’aurais-tu dit l’autre soir, où Siomara s’est changée en louve fauve, pour aller, au déclin de la lune, rôder autour des gibets et en rapporter ici entre ses dents le crâne d’un supplicié nécessaire à ses enchantements (L) ?
— Dieux secourables, ayez pitié de moi !…
— Et l’autre nuit, où prenant la forme d’une couleuvre noire, Siomara est allée se glisser dans le berceau d’un nouveau-né dormant près du lit de sa mère, et, s’enroulant doucement autour du cou de l’enfant, tandis qu’elle approchait sa tête de reptile des petites lèvres roses de l’enfant, afin d’aspirer son dernier souffle… Siomara l’a étranglé, ce nouveau-né, dont le dernier souffle était nécessaire à ces sortilèges !
— Je suis dans l’épouvante ! — a murmuré Sylvest. — Est-ce que je rêve ? est-ce que je veille ?…