Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 2.djvu/158

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le seigneur Diavole ; ils se sont arrêtés à quelques pas de ce logis : le maître a parlé à l’esclave, celui-ci, tenant sous son bras une cassette, a frappé à cette porte ; elle s’est ouverte et refermée sur lui… Cela se passait à la nuit tombante… et voici bientôt l’aube… Ravage et furies ! me prend-on pour un oison, à la fin ?…

— On te prend pour ce que tu vaux, pour ce que tu es, boucher de chair humaine ! sac à vin ! désolation des outres pleines !… — s’écria l’eunuque de sa voix claire et perçante. — Hors d’ici, pilier de taverne ! effroi des cabaretiers ! hors de céans, taureau de combat !… Il n’y a personne à transpercer ici, et tes beuglements ne me font pas peur !…

— Veux-tu que je t’étouffe dans ta graisse ? vieux chapon bardé de lard ! Veux-tu que je te crève à coups de bâton ? molle et flasque panse ! — s’écria le gladiateur en levant sur le vieillard une grande canne d’ébène ayant pour pomme la tête arrondie d’un os humain. — Sang et entrailles ! si tu dis encore un mot, tu n’en diras pas un second… Prends garde à toi, tonne de lard rance !…

Ainsi parlait Mont-Liban, ce gladiateur célèbre, que les grandes dames romaines poursuivaient de leurs impudiques désirs… Il paraissait jeune encore ; mais l’expression de ses traits rudes, grossiers, était insolente et stupide… Un coup de sabre, commençant au front et allant se perdre dans son épaisse barbe fauve, lui avait crevé l’œil gauche. Des taches de vin et de graisse souillaient ses riches vêtements ; sa tunique, brodée d’argent, mais en désordre et mal agrafée, laissait voir sa poitrine d’Hercule, velue comme celle d’un ours. Ses chausses de peau de daim et ses bottines militaires, bordées de galons d’or, semblaient aussi sordides que le reste de son accoutrement. Une large et longue épée pendait à son côté ; sur sa tête il portait un chaperon de feutre, orné d’une longue aigrette rouge, et tenait à la main sa grosse canne d’ébène, ayant pour pomme la tête arrondie d’un os humain, souvenir d’un de ses combats, sans doute. Oui, tel était ce Mont-Liban, dont les nobles dames d’Orange se dis-