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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 2.djvu/192

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au lieu d’être transmises à sa descendance, selon l’espoir de son aïeul Joel, le brenn de la tribu de Karnak…

Le guichetier qui, une fois par jour, apportait à Sylvest sa pitance, était un soldat invalide, ancien archer crétois, aussi bavard qu’un Gaulois, eût dit le bon Joel. Ce guichetier, vieil habitué des combats du cirque et endurci à ce spectacle, entretenait toujours Sylvest, durant son repas, et cela sans méchante intention, du nombre et de la férocité des animaux dont son ami et compagnon le bestiaire en chef avait la surveillance. La veille de la fête sanglante, il dit à l’esclave d’un ton paternel :

— Ah ! mon fils, il vient de nous arriver juste à point pour demain un superbe couple de lions d’Afrique ; j’ai songé à toi, car mon bon ami le bestiaire en chef, n’a jamais vu de bêtes plus farouches. À quatre lieues d’ici, dans un repos, et après s’être pourtant bien repus de viande, ces lions ont, par pure malice, mis en morceaux leur gardien arabe, auquel ils étaient depuis longtemps accoutumés et qui ne se défiait aucunement d’eux. Que sera-ce demain soir, lorsqu’ils auront été privés de nourriture pendant tout un jour ? Aussi, mon fils, je te souhaite de tomber sous la griffe d’un de ces compères ; il ne te fera pas languir… Et surtout, je t’en conjure, car ta jeunesse m’intéresse, surtout rappelle-toi ceci… N’imite pas ces malavisés qui, une fois les bêtes féroces lâchées dans l’amphithéâtre, se jettent maladroitement la face contre terre et présentent le dos au lieu du ventre… Maladroits ! leur agonie, leur supplice durent cent fois davantage ; tu vas comprendre pourquoi : aucune des parties nobles du corps n’étant tout de suite attaquée, la mort est beaucoup plus lente… tandis qu’au contraire on en finit vite en se mettant, n’oublie pas ceci, mon fils, en se mettant à genoux face à face avec le lion ou le tigre, la gorge et la poitrine franchement à portée de leurs dents ; l’on a du moins la bonne chance d’être étranglé ou éventré du premier coup…

— Le conseil est bon, je m’en souviendrai.

— Mais rappelle-toi, mon fils, que s’agenouiller ainsi face à face