Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 2.djvu/26

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nait sous ses pattes énormes l’archer crétois qui poussait des cris affreux ; mais d’un coup de ses crocs, formidables comme ceux d’un lion, le dogue de guerre a déchiré si profondément la gorge de sa victime, que deux jets d’un sang chaud sont venus mouiller mon front, et l’archer, sans mourir encore, n’a plus crié… Deber-Trud, sentant sa proie toujours vivante, s’acharnait sur elle avec des grondements furieux, dévorant et jetant de côté chaque lambeau de chair arraché ; j’ai entendu les côtes du Crétois craquer, se broyer sous les crocs de Deber-Trud, qui fouillait et fouillait… si avant dans cette poitrine sanglante, que son mufle rougi s’y perdait, et que je ne voyais plus que des deux yeux flamboyants. Un légionnaire est accouru, et par deux fois, il a transpercé Deber-Trud de sa lance… Deber-Trud n’a pas poussé un seul gémissement… Deber-Trud est mort en bon dogue de guerre, sa tête monstrueuse plongée dans les entrailles du Romain (E).

Après la mort des deux saldunes enchaînés l’un à l’autre, les défenseurs du chariot sont tombés un à un… Alors j’ai vu ma mère, ma femme, celle de Mikaël, et nos autres jeunes parentes, les yeux et les joues enflammés, les cheveux épars, les vêtements désordonnés par l’action du combat, les bras et le sein demi-nus, courir, intrépides, d’un bout à l’autre du chariot, encourageant les combattants de la voix et du geste, lançant sur les Romains, d’une main virile et aguerrie, courts épieux ferrés, couteaux de jet, massues armées de pointes ! Enfin le moment suprême est venu : tous ceux de notre famille tués, le chariot, entouré de corps amoncelés jusqu’à ses moyeux, n’a plus été défendu que par ma mère, nos épouses, nos parentes… Il allait être assailli… Elles étaient là avec Margarid… cinq jeunes femmes et six jeunes vierges, presque toutes d’une beauté superbe, rendues plus belles encore par l’exaltation de la bataille.

Les Romains, sûrs de cette proie pour leurs débauches, et la voulant garder vivante, se sont consultés avant d’attaquer… Je ne comprenais pas leurs paroles ; mais à leurs rires grossiers, aux regards