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LES MYSTÈRES DU PEUPLE.

tant la main sur son coutelas, nous mordrons avec les nôtres !…

— Oh ! vienne le jour où seront jugés ceux qui retiennent par violence le salaire de l’ouvrier, et je dénoncerai à la vengeance du Seigneur le banquier Jonas ! — dit un artisan. — Il m’a fait travailler en secret aux boiseries de sa salle de festin les jours de sabbat, et il m’a retenu le salaire de ces jours-là. J’ai voulu me plaindre : il m’a menacé de me dénoncer aux princes des prêtres comme profanateur des jours saints, et de me faire jeter en prison !

— Et pourquoi le banquier Jonas t’a-t-il retenu injustement ton salaire ? — reprit Pierre ; — parce que, ainsi que le dit le prophète : « La cupidité est comme une sangsue ; elle a deux filles qui disent toujours : Apporte, apporte[1] ! »

— Et ces grosses sangsues-là, — s’écria Banaïas, — est-ce qu’elles ne dégorgeront pas un jour tout le sang qu’elles ont sucé aux pauvres artisans, aux veuves et aux orphelins ?

— Si… si, — répondit le disciple, — nos prophètes et Jésus l’ont annoncé : « Pour ceux-là, ce sera l’enfer et les grincements de dents… mais, une fois l’ivraie, qui étouffe le bon grain, arrachée, les méchants rois, les cupides, les usuriers extirpés de la terre dont ils pompent tous les sucs, viendra le jour du bonheur pour tous, la justice pour tous ; et, ce jour-là venu, — ont dit les prophètes, — les peuples ne s’armeront plus les uns contre les autres, leurs épées seront transformées en hoyaux, leurs lances en serpes ; une nation ne lèvera plus le glaive contre aucune autre nation ; l’on ne fera plus la guerre, mais chacun s’assiéra sous sa vigne ou sous son figuier, sans craindre personne : l’œuvre de la justice sera la sûreté, la paix et le bonheur de chacun[2]. En ces temps-là, enfin, le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du chevreau, le lion et la brebis demeureront ensemble, et un petit enfant les conduira tous[3]. »

  1. Proverbes, ch. XXX, v. 15.
  2. Isaïe, ch XVI, v. 8-9 ; ch. XLII, v. 1-6-7.
  3. Isaïe, ch XII, v. 6-7.