Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 2.djvu/302

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— Peut-être, — pensait Geneviève, — peut-être Siomara eût connu le repentir et sa fin eût été paisible si elle avait pu, comme cette Madeleine dont on parle, entendre les salutaires enseignements de ce jeune homme.

— La voilà ! — dirent plusieurs voix ; — place à Madeleine, la plus belle entre les plus belles !…

— Notre princesse à nous ! — dit à Oliba sa compagne d’un air de fierté ; — car enfin, notre reine… à nous autres… c’est Madeleine !…

— Triste royauté ! — reprit Oliba en soupirant ; — sa honte est vue de plus haut !… de plus loin !…

— Mais elle est si riche… si riche !…

— Se vendre pour un denier ou pour un monceau d’or, — répondit la pauvre courtisane, — où est la différence ? L’ignominie est égale !…

— Oliba… tu deviens tout à fait folle !…

La jeune femme ne répondit rien à sa pareille et soupira.

Geneviève, montée, comme sa maîtresse, sur un escabeau, se haussa sur la pointe des pieds, et vit bientôt entrer dans la taverne la célèbre courtisane.

Madeleine était d’une beauté rare, la mentonnière de son turban de soie blanche brochée d’or encadrait son pâle et brun visage d’une perfection admirable ; ses longs sourcils, d’un noir d’ébène, comme les bandeaux de ses cheveux, se dessinaient sur ce front jusqu’alors impudique et superbe, mais alors triste, abattu, car elle semblait navrée. Le rebord de ses paupières, teint d’une couleur bleuâtre, selon la mode orientale, donnait à son regard noyé de larmes quelque chose d’étrange, et semblait doubler la grandeur de ses yeux, brillants dans ses pleurs comme des diamants noirs… Une longue robe de soir tyrienne d’un bleu tendre, brochée d’or et brodée de perles, traînait au loin sur ses pas, et elle avait pour ceinture une écharpe flottante d’étoffe d’or couverte de pierreries de mille couleurs, comme celles