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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 2.djvu/48

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barres transversales de ma couche ; il m’était impossible de me déchaîner, eussé-je été aussi vigoureux qu’auparavant… Alors, moi, Guilhern, fils de Joel, le brenn de la tribu de Karnak, j’ai dû songer à la ruse.. à la ruse !… À me mettre dans les bonnes grâces du maquignon, afin d’obtenir de lui quelques renseignements sur mon petit Sylvest et ma petite Siomara… Pour cela, il ne fallait ni dépérir, ni paraître triste et effrayé du sort réservé à mes enfants… J’ai craint de ne pouvoir réussir à feindre ; notre race gauloise n’a jamais connu la fourbe et le mensonge : elle triomphe ou elle meurt !…

Le soir même de ce jour où, revenant à moi, j’ai eu conscience de mon esclavage, j’ai assisté à un spectacle d’une terrible grandeur ; il a relevé mon courage… je n’ai pas désespéré du salut et de la liberté de la Gaule. La nuit allait venir, j’ai entendu d’abord le piétinement de plusieurs troupes de cavalerie arrivant au pas sur la grande place de la ville de Vannes, que je pouvais apercevoir par l’étroite fenêtre de ma prison. J’ai regardé, voici ce que j’ai vu :

Deux cohortes d’infanterie romaine et une légion de cavalerie, rangées en bataille, entouraient un grand espace vide au milieu duquel s’élevait une plate-forme en charpente. Sur cette plate-ferme était placé un de ces lourds billots de bois dont on se sert pour dépecer les viandes. Un Maure de gigantesque stature, au teint bronzé, les cheveux ceints d’une bandelette écarlate, les bras et les jambes nus, portant une casaque et un court caleçon de peau tannée çà et là tachés d’un rouge sombre, se tenait debout à côté de ce billot, une hache à la main.

J’ai entendu retentir au loin les longs clairons des Romains : ils sonnaient une marche lugubre. Le bruit s’est rapproché ; une des cohortes rangées sur la place a ouvert ses rangs en formant la haie ; les clairons romains sont entrés les premiers sur la place ; ils précédaient des légionnaires bardés de fer. Après cette troupe venaient des prisonniers de notre armée, garrottés deux à deux ; puis (et mon cœur a commencé de battre avec angoisse) puis venaient des femmes, des