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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 2.djvu/49

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enfants, aussi garrottés… Plus de deux portées de fronde me séparaient de ces captifs ; à une si grande distance je ne pouvais distinguer leurs traits, malgré mes efforts… Pourtant, mon fils et ma fille se trouvaient peut-être là… Ces prisonniers de tout âge, de tout sexe, serrés entre deux haies de soldats, ont été rangés au pied de la plate-forme ; d’autres troupes ont encore défilé, et, après elle, j’ai compté vingt-deux autres captifs marchant un à un, mais non pas enchaînés, ceux-là ; je l’ai reconnu à leur libre et fière allure : c’étaient les chefs et les anciens de la ville et de la tribu de Vannes, tous vieillards à cheveux blancs… Parmi eux, et marchant les derniers, j’ai distingué deux druides et un barde du collège de la forêt de Karnak, reconnaissables, les premiers à leurs longues robes blanches, le second à sa tunique rayée de pourpre. Ensuite a paru encore de l’infanterie romaine ; et enfin, entre deux escortes de cavaliers numides couverts de leurs longs manteaux blancs, César à cheval et entouré de ses officiers. J’ai reconnu le fléau des Gaules à l’armure dont il était revêtu, lorsque, à l’aide de mon bien-aimé frère Mikaël, l’armurier, j’emportais César tout armé sur mon cheval… Oh !… combien, à sa vue, j’ai maudit de nouveau mon ébahissement stupide qui fut le salut du bourreau de mon pays !

César s’est arrêté à quelque distance de la plate-forme ; il a fait un signe de la main droite… Aussitôt les vingt-deux prisonniers, le barde et les deux druides passant les derniers, sont montés d’un pas tranquille sur la plate-forme… Tour à tour ils ont posé leur tête blanche sur le billot, et chacune de ces têtes vénérées, abattue par la hache du Maure, a roulé aux pieds des captifs garrottés.

Le barde et les deux druides restaient seuls à mourir… Ils se sont tous trois enlacés dans une dernière étreinte, la tête et les mains levées au ciel… Puis ils ont crié d’une voix forte ces paroles de ma sœur Hêna, la vierge de l’île de Sên, à l’heure de son sacrifice volontaire sur les pierres de Karnak… ces paroles qui avaient été le signal du soulèvement de la Bretagne contre les Romains :