Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 2.djvu/51

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malheurs de ma famille… Hélas ! à chaque blessure de la patrie, la famille saigne !

Forcément résigné à mon sort, j’ai repris peu à peu mes forces, espérant chaque jour obtenir du maquignon quelques renseignements sur mes enfants… Je les lui avais dépeints le plus soigneusement possible ; il me répondait toujours que, parmi les petits captifs qu’il avait vus, il n’en connaissait pas de semblables au signalement que je lui donnais, mais que plusieurs marchands avaient l’habitude de cacher à tous les yeux leurs esclaves de choix jusqu’au jour de la vente publique. Il m’apprit aussi que le noble seigneur Trymalcion, cet homme qui achetait les enfants, et dont le nom seul me faisait frémir d’horreur, était arrivé à Vannes sur sa galère.

Après quinze jours de captivité vint le moment de la vente.

La veille, le maquignon entra dans ma prison : c’était le soir ; il me présenta lui-même mon repas, et y assista. Il avait, en outre, apporté un flacon de vieux vin des Gaules.

— Ami Taureau, — m’a-t-il dit avec sa jovialité habituelle, — je suis content de toi ; ta peau s’est à peu près remplie ; tu n’as plus d’emportements insensés et, si tu ne te montres pas très-joyeux, du moins je ne te trouve plus triste et larmoyant… Nous allons boire ensemble ce flacon à ton heureux placement chez un bon maître, et au gain que tu me produiras.

— Non, — ai-je répondu ; — je ne boirai pas…

— Pourquoi cela ?

— La servitude rend le vin amer… et surtout le vin du pays où l’on est né.

Le maquignon m’a regardé un air fâché.

— Tu réponds mal à mes bontés ; tu ne veux pas boire… libre à toi… Je voulais vider une première coupe à ton heureux placement, et la seconde à ton rapprochement de tes enfants : j’avais une bonne raison pour cela.