Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 2.djvu/53

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sans pouvoir m’empêcher de soupirer, songeant à ce bel attelage, élevé dans nos prairies, et que mon père et ma mère admiraient toujours.

— Ces bœufs portaient au cou des colliers de cuir garnis de clochettes d’airain pareilles à celle-ci, — poursuivit le maquignon en fouillant à sa poche… et il en tira une clochette qu’il me montra.

Je la reconnus ; elle avait été fabriquée par mon frère Mikaël, l’armurier, et portait la marque de tous les objets façonnés par lui.

— Cette clochette vient de nos bœufs, — lui dis-je. Veux-tu me la donner ?… Elle n’a aucune valeur.

— Quoi ! — me répondit-il en riant, — tu voudrais aussi te pendre des clochettes au cou, ami Taureau ?… C’est ton droit… Tiens, prends-la… Je l’avais seulement apportée pour savoir de toi si l’attelage dont elle provient était celui du chariot de ta famille.

— Oui, — ai-je dit en mettant cette clochette dans la poche de mes braies, comme le seul souvenir qui devait peut-être me rester du passé. — Oui, cet attelage était le nôtre ; mais il m’a semblé voir un ou deux bœufs tomber blessés dans la mêlée ?

— Tu ne te trompes pas… deux de ces bœufs ont été tués dans la bataille ; les deux autres, quoique légèrement blessés, sont vivants, et ont été achetés (j’ai seulement su cela aujourd’hui) par un de mes confrères qui a acheté aussi trois enfants restés dans ce chariot : deux, dont un petit garçon et une petite fille de huit à neuf ans, à demi étranglés, avaient encore le lacet autour du cou ; mais l’on a pu les rappeler à la vie…

— Et ce marchand… — me suis-je écrié tout tremblant, — où est-il ?…

— Ici, à Vannes… Tu le verras demain ; nous avons tiré au sort nos places pour l’encan, et elles sont voisines l’une de l’autre… Si les enfants qu’il a à vendre sont les tiens, tu vois que tu seras rapproché d’eux.

— En serai-je bien près ?