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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 2.djvu/76

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L’AUTEUR AUX ABONNÉS


DES MYSTÈRES DU PEUPLE


Chers lecteurs,

Permettez-moi de vous remercier d’abord de l’intérêt croissant que vous voulez bien accorder à cette œuvre. Maintenant, quelques mots sur le récit suivant, le Collier de fer.

Dans Hêna, la vierge de l’île de Sên, et dans le Chariot de la Mort, j’ai lâché de vous peindre le plus fidèlement, le plus historiquement possible, notre famille gauloise plébéienne, libre, heureuse, et vivant dans l’aisance par son labeur ; je vous ai fait connaître ses mœurs, ses coutumes, ses travaux, ses lois, ses croyances religieuses, son caractère pour ainsi dire typique et conservé à peu près tel jusqu’à nos jours.

Puis l’invasion de l’étranger est venue, et avec lui, la guerre, la guerre sans merci ni pitié, telle que la faisaient César et les Romains ; guerre inique, sanglante, spoliatrice, infâme, comme toutes les guerres des conquérants, et aboutissant à l’asservissement de notre antique patrie, et à la mort ou à l’esclavage de ses enfants. À cette guerre impie, les Gaulois ont répondu par une guerre sainte ; car sainte est toujours la guerre que fait un peuple pour combattre l’oppression. Vous avez vu avec quelle loyale grandeur, avec quel sublime héroïsme nos pères ont défendu leur nationalité, leur liberté, leur sol, leur foyer, leur famille et leurs dieux. Malgré ces prodiges de dévouement et de vaillance, les armes romaines ont triomphé ; notre famille gauloise a été, comme tant d’autres, anéantie par la bataille ou par la mort volontaire, seul refuge contre un épouvantable asservissement. Il ne reste des fils de Joël le brenn que Guilhern et ses deux enfants, Sylvest et Siomara ; tous trois sont réduits à l’esclavage et vendus.

Le récit suivant, le Collier de fer, est surtout destiné à vous faire connaître, chers lecteurs, le sort de nos pères esclaves, et à quel degré de dépravation et de férocité en étaient venus les riches et les puissants de cette société romaine, implantée en Gaule par la conquête ; dépravation et férocité dont les esclaves des villes, de l’industrie ou des champs étaient les victimes.

Nous avons, quoique à regret, et en les affaiblissant beaucoup, tracé quelques tableaux qui vous donneront du moins une idée des horreurs sans nom familières aux hommes ou aux femmes de race noble et opulente qui tenaient nos pères et nos mères sous le double joug de la conquête et de l’esclavage. Cette peinture, si horrible qu’elle soit, est indispensable, et pour la connaissance des temps qu’elle reproduit, et surtout pour l’intelligence des temps postérieurs. Je m’explique.

L’époque à laquelle se passe le récit suivant précède de peu d’années l’ère chrétienne, et l’on ne saurait comprendre le subit et prodigieux retentissement de la parole du Christ, cette sublime paraphrase des éternelles vérités morales écrites depuis des siècles à chaque page de la Bible ou des livres sacrés de l’Inde et de la Gaule ; l’on ne saurait comprendre, disons-nous, la toute-puissance soudaine du divin appel de Jésus, le pauvre charpentier de Nazareth, aux opprimés et aux souffrants, si les épouvantables débordements de l’aristocratie romaine, en ces temps-là souveraine du monde, arrivés à un excès jusqu’alors inconnu à l’humanité, n’avaient comblé la mesure des iniquités et des tortures sociales, accumulant ainsi des ferments de révolte qui devaient éclater à la parole du Christ[1], partout où il existerait des opprimés et des oppresseurs.

Nous allons donc raconter cette époque, dont la monstrueuse pression a fait pour ainsi dire tout à coup jaillir la divine émancipation chrétienne des profondeurs de l’abîme où gémissaient les populations dépouillées, asservies, torturées par des maîtres implacables.

Dans ce récit, comme dans tous les autres, chers lecteurs, vous reconnaîtrez à la lecture des notes, que si étranges, si exorbitants que vous semblent les faits, je me suis toujours tenu dans les limites de la plus rigoureuse réalité historique.

E. S................................

  1. La révolution chrétienne, en outre de son caractère religieux, fut une révolution éminemment sociale. — « Voilà donc la vraie cause de la condamnation de Jésus, nous en avons la preuve judiciaire et légale. Jésus fut victime d’une accusation politique (Jésus devant Caïphe et Pilate, par M. Dupin aîné. 1840, p. 113).
    «Mais les accusateurs de Jésus-Christ insistant de plus en plus ajoutèrent : Il soulève le peuple par la doctrine qu’il enseigne dans toute la Judée (Évangile, S. Luc, XIII, 5 ). »