Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 4.djvu/154

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impétueux… Elle nous battait à la journée, souvent nous mordait et non moins souvent querellait violemment le seigneur comte.

— Quoi, Morise ! elle osait le quereller ?…

— Oh ! rien ne l’intimidait celle-là !… rien !… Quand elle était en furie, elle rugissait et grinçait des dents comme une lionne.

— Quelle terrible femme !…

— Enfin, madame, ce soir-là, au lieu d’obéir à la fantaisie du seigneur comte et de prendre la lampe pour le conduire jusqu’à son lit, lui et Martine, Wisigarde se mit à les injurier tous deux et à leur reprocher leur débauche.

— Lui, si colère ! elle bravait la mort !… Je n’ai pas une goutte de sang dans les veines !…

— Alors, madame, j’ai vu, comme je vous vois, les yeux du comte devenir sanglants et l’écume blanchir ses lèvres… Il s’est élancé sur sa femme, lui a donné un coup de poing sur le visage, puis d’un coup de pied dans le ventre il l’a renversée à terre… Elle, aussi furieuse que lui, ne cessait de l’injurier et même tâchait de le mordre, lorsque, après l’avoir jetée à terre, il s’est mis à deux genoux sur sa poitrine… Finalement, il lui a tant serré le cou entre ses deux grosses mains, qu’elle est devenue violette, et il l’a étranglée… et puis après, il s’est en allé coucher avec Martine.

— Morise, il m’en arrivera quelque jour autant.

Et Godégisèle, frémissant de tout son corps, laissa tomber sa tête sur sa poitrine, et sa quenouille à ses pieds.

— Oh ! madame, il ne faut pas ainsi vous alarmer… Tant que vous serez grosse vous n’aurez rien à craindre… le seigneur comte ne voudrait pas tuer du même coup sa femme et son enfant.

— Mais quand je l’aurai eu mis au monde, cet enfant ! je serai tuée comme Wisigarde !

— Cela dépendra, madame, de l’humeur du seigneur comte… Peut-être aussi vous répudiera-t-il et vous renverra chez vos parents, comme il a renvoyé ses autres femmes qu’il n’a pas étranglées.