Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 4.djvu/159

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parole que celle-là !… C’est rappeler au comte la cause du meurtre de son autre femme.

Neroweg, aux paroles de Godégisèle, tressaillit, s’avança brusquement vers elle d’un air défiant ; puis, la saisissant par le bras :

— Pourquoi parles-tu de m’éclairer avec cette lampe ?

— Grâce ! monseigneur !… ne me tuez pas !…

Et elle tomba à genoux.

— Ne tuez pas votre servante comme vous avez tué Wisigarde !…

Soudain le comte devint aussi pâle que sa femme, et s’écria, frappé d’une terreur que redoublait son ivresse :

— Elle sait que j’ai tué Wisigarde !… elle me dit les mêmes mots qui me l’ont fait tuer !… C’est l’œuvre du malin esprit !… Je m’en souviens, l’évêque Cautin m’a dit que Wisigarde étant morte sans l’assistance d’un prêtre, pouvait revenir la nuit me tourmenter sous forme de fantôme !… Elle va peut-être m’apparaître cette nuit, puisque ma femme a prononcé ces mêmes mots qui m’ont fait étrangler l’autre ! C’est un avertissement du ciel ou de l’enfer !

Et s’adressant à Morise :

— Mon clerc ! mon clerc !… cours le chercher !… Il priera près de moi toute la nuit… il ne me quittera pas… Le fantôme de Wisigarde n’osera pas approcher, un prêtre étant là… Et puis cet esclave qui a blasphémé, il peut attirer le diable dans le burg !… Oh ! j’ai eu tort de ne pas faire couper en quartiers ce maudit cuisinier !… Non, ce n’est pas assez d’avoir arraché la langue à ce sacrilège !

Son épouvante augmentant pendant que Morise courait chercher le clerc et que Godégisèle, demi-morte de frayeur et toujours agenouillée, s’adossait au poteau, se sentant défaillir ; le comte se jeta aussi à genoux et s’écria, se frappant la poitrine :

— Seigneur Dieu ! ayez pitié d’un pauvre pécheur !… J’ai beaucoup payé à mon patron, l’évêque Cautin, pour la mort de mon frère et de ma femme Wisigarde !… Je payerai beaucoup encore, afin