Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 4.djvu/277

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— La mort de mon frère a été vaillante comme sa vie… Maudit soit ce Chram, fils de Clotaire ! S’il n’eût pas ravagé la Bourgogne, mon frère Karadeuk vivrait peut-être encore !

— Je dis comme vous, Kervan, maudit soit ce Chram ! Du moins il a trouvé aux frontières de notre Bretagne la juste punition de ses crimes…

— Tu veux parler de cette aventure qui t’a frappé d’une telle épouvante, que tout à l’heure tu pâlissais encore à ce souvenir ?

— Ah ! Kervan ! l’on dirait que ces rois franks et leur race sont prédestinés à devenir l’horreur du monde !… Écoutez, écoutez… mon père mourant me fit donc promettre de me rendre ici, au berceau de notre famille. Après avoir écrit le récit que je vous ai remis… je n’ai pu le compléter ; voici pourquoi : En ces temps désastreux, rien de plus difficile, de plus périlleux, que d’entreprendre un long voyage ; on risque à chaque pas d’être enlevé en route et emmené captif par les bandes armées des ducs, des comtes, des seigneurs franks ou des évêques qui guerroyent de province à province, de diocèse à diocèse, de domaine à domaine, se pillant les uns les autres ou envahissant réciproquement leur territoire, afin d’agrandir leurs possessions ; aussi tous ceux qui sont forcés de voyager ne s’aventurent jamais hors des cités sans se réunir en assez grand nombre pour pouvoir repousser l’attaque des bandes armées que l’on rencontre continuellement. J’appris qu’une compagnie de voyageurs devaient partir de la ville de Marcigny pour se rendre à Moulins ; c’était mon chemin ; voulant profiter de cette occasion, je quittai la vallée avant d’avoir achevé le récit que je vous ai remis ; nous partîmes de Marcigny environ trois cents personnes, hommes, femmes, enfants, les uns à pied, les autres à cheval ou en chariot, pour aller d’abord à Moulins ; de cette ville d’autres voyageurs devaient partir pour Bourges ; de cette dernière cité j’espérais trouver de pareilles compagnies pour gagner Tours, puis poursuivre ainsi ma route jusqu’à nos frontières, par Saumur et par Nantes. Pendant mon voyage de Mar-