Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 5.djvu/245

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tre, l’empereur aime au moins autant à être entouré de femmes que de soldats et d’abbés, sans oublier pourtant les savants, les rhétoriciens, les dialecticiens, les rhéteurs, les péripatéticiens et les grammairiens ; le grand Karl étant aussi passionné pour la grammaire que pour l’amour, la guerre, la chasse et le plain-chant au lutrin. Que te dirai-je ? dans son ardeur de grammairien, l’empereur invente des mots ; oui ; ainsi, par exemple, en langue gauloise, comment appelles-tu le mois où nous sommes ?

— Le mois de novembre.

— Nous aussi, barbares Italiens que nous sommes ! mais l’empereur a changé tout cela de par sa volonté souveraine et grammaticale ; ses peuples, si toutefois ils peuvent obéir sans étrangler, diront, au lieu de novembre, herbismanoht ; au lieu d’octobre, windumemanoht.

— Octave…

— Au lieu de mars, lenzhimanoht (C), au lieu de mai

— Assez, assez, par pitié ! — s’écria Vortigern, — ces noms barbares font frissonner. Quoi ! il se trouve des gosiers capables d’articuler de pareils sons ?

— Mon jeune ami, les gosiers franks sont capables de tout… Ah ! prépare tes oreilles au plus farouche concert de mots rauques, gutturaux, sauvages, que tu aies jamais entendu, à moins que tu n’aies ouï à la fois coasser des grenouilles, piailler des chats-huants, beugler des taureaux, braire des ânes, bramer des cerfs et hurler les loups ! car, sauf l’empereur et sa famille, qui savent à peu près parler la langue romaine et gauloise, les langues humaines, enfin, tu n’entendras parler que frank dans cette cour germanique, où tout est germain, c’est-à-dire barbare : langage, costumes, mœurs, repas, habits, coutumes ; en un mot, Aix-la Chapelle n’est plus la Gaule, c’est la pure Germanie !

— Et pourtant Karl règne sur la Gaule !… Est-ce assez de honte pour mon pays ?… l’empereur qui le gouverne, sans autre droit que celui de la conquête, est un roi frank, entouré d’une cour franque