Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 6.djvu/150

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cruellement vengé de ces mauvais traitements sans la crainte de nous laisser à l’abandon moi et ma mère. Elle est morte il y a un an ; mon père lui a survécu quelques mois ; lorsque je l’ai eu perdu, je suis venu par ordre du baillif habiter avec ma grand’mère, serve lavandière du château de Compiègne.

— Bonne Marthe ! lors des premiers temps de ton arrivée ici, elle me répétait toujours : « Il ne faut pas s’étonner de ce que mon petit-fils ait l’air d’un sauvage, il n’a jamais quitté la forêt ; » mais, hélas ! la vérité est que dans les derniers temps de sa vie ta grand’mère me disait souvent en pleurant : « Le bon Dieu a voulu que le pauvre Yvon soit idiot ; » moi je pensais comme elle : aussi me faisais-tu grand’pitié. Combien je me trompais pourtant ! tu parles comme un clerc, et tout à l’heure en t’écoutant je me disais : Est-ce bien lui ? lui... Yvon-le-Bestial, qui dit ces choses ?

— Maintenant, es-tu contente de voir ton erreur dissipée ?

— Je ne sais, — répondit la jeune serve en rougissant, — je suis si surprise de ce que tu m’apprends !

— Marceline, veux-tu, oui ou non, nous marier ? Tu es orpheline, tu dépends de ta maîtresse, et moi du baillif, nous sommes serfs du même domaine, pourquoi nous refuserait-on la permission de nous unir ? — et il ajouta avec amertume : — L’agneau qui naît n’augmente-t-il pas le troupeau du maître ?

— Hélas ! il est vrai, nos enfants naissent et meurent serfs comme nous ! mais Adelinde, ma maîtresse, consentira-t-elle à ce que j’épouse un idiot ?

— Voici mon projet : Adelinde est favorite et confidente de la reine ; or c’est aujourd’hui, vois-tu, Marceline, un beau jour pour la reine, son cœur nage dans la joie.

— Quoi ! le jour où le roi son mari est mort ?

— Précisément ; donc la reine est joyeuse, et pour mille raisons sa confidente, ta maîtresse, doit être non moins joyeuse que la veuve