Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 6.djvu/162

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nués par la faim, sillonnés de coups ou mutilés par nos seigneurs, comtes, duks, rois, évêques ou abbés ! Enfin ! nous allons donc pour toujours fermer les yeux à ce déchirant spectacle de nos femmes, de nos mères, de nos filles, de nos sœurs, soumises comme nous aux horreurs du servage, plus misérables encore que nous ! elles servent aux plaisirs infâmes de nos maîtres ! Oh ! bénie soit-elle la fin du monde ! c’est le terme de nos misères, malheureux serfs que nous sommes ! Quoi qu’il arrive de nos âmes, nous ne saurions y perdre, et du moins nous changerons d’enfer !

Et ces pauvres serfs n’ayant rien à dépenser, rien à prodiguer, voulurent du moins anticiper sur le repos éternel ; le plus grand nombre laissèrent là, pioche, houe, charrue dès l’automne. À quoi bon ensemencer une terre qui, dès avant la récolte, doit s’abîmer dans le chaos ? D’autres serfs, jaloux de jouir au moins une heure des biens du monde avant son anéantissement, pillèrent quelques riches abbayes, quelques châteaux, ou de force, se joignirent aux grandes saturnales de ceux-là qui, la coupe en main, leur maîtresse sur leurs genoux, défiaient le courroux de l’Éternel. Grâce à la fourberie de l’Église catholique, les derniers jours de l’année 999 offrirent ainsi en Gaule un spectacle inouï, fabuleux à donner le vertige ! Bouffonneries et gémissements ! éclats de rire et lamentations ! chants d’ivresse et chants des morts ! Ici les cris, les danses frénétiques de la suprême orgie ; ailleurs les lamentations du cantique suprême ; puis planant sur cette vague épouvante, la formidable curiosité des peuples, attendant la destruction du monde… Il vint enfin ce jour prophétisé par saint Jean l’Évangéliste ! elle vint cette dernière heure, cette dernière minute de l’année 999 ! Tremblez, pécheurs ! tremblez, peuples de la terre ! le voici le moment terrible prédit par les saints livres ! Encore une seconde, encore un instant, minuit sonne… et l’an 1000 commence !

Alors, dans l’attente de ce moment fatal, les cœurs les plus endurcis, les âmes les plus certaines de leur salut, les intelligences les plus