Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 6.djvu/183

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dicules, de recevoir des coups de fouet, de marcher sur les mains, de gambader ou de baiser les verrous de la porte du péager (D) ; quant aux femmes, elles devaient se soumettre aux obscénités les plus révoltantes (E). Plusieurs pauvres gens, aussi misérables que nous, subirent ces hontes et ces brutalités. Désirant les épargner à ma femme et à mon père, je dis au baillif de la seigneurie, qui d’aventure se trouvait là : « — Ce château que je vois là-haut me semble menacer ruine en plusieurs endroits, par suite d’un incendie et d’un siège récents ; je suis habile artisan maçon, j’ai bâti grand nombre de donjons fortifiés, employez-moi, je travaillerai à la satisfaction de votre seigneur ; je vous demande pour seule grâce, de ne pas maltraiter mon père, ma femme et mes enfants, et de nous accorder l’abri et le pain, tant que dureront mes travaux. » — Le baillif accepta mon offre, car on n’avait pas encore remplacé l’artisan maçon de la seigneurie, tué lors de la dernière guerre contre le château de Mont-Ferrier. Je montrai suffisamment que je savais bâtir. Le baillif nous assigna pour demeure une cabane, et nous devions recevoir la pitance des serfs ; mon père cultiverait un petit jardin dépendant de notre masure, et mon fils Nominoé, déjà en âge de travailler, m’aiderait dans mon labeur, qui pouvait durer jusqu’à la saison d’hiver ; nous comptions ensuite tâcher de nous rendre en Bretagne. Nous vivions ici depuis cinq mois, lorsqu’il y a trois jours j’ai perdu mon père, qui, le soir, après ses travaux, avait écrit le récit précédent.




Aujourd’hui, onzième jour du mois de juin de l’année 1035, moi, Den-Braô, je relate ici un événement très-triste. Les travaux du château de Mont-Ferrier n’ayant pas été terminés avant l’hiver de l’année 1034, le baillif du seigneur, peu de temps après la mort de mon père, m’a proposé de reprendre la bâtisse au printemps. J’ai accepté, car j’aime mon métier de maçon ; d’ailleurs, ma famille n’était pas plus malheureuse ici qu’à Compiègne, et je n’éprouvais