Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 6.djvu/184

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas le même désir que mon père, de me rendre en Bretagne où, peut-être, il ne reste personne de notre famille. J’ai donc accepté les offres du baillif ; je me promettais de plus un grand plaisir à achever certaine construction dans laquelle se trouvait une issue secrète habilement ménagée, qui permettrait au seigneur, par ces temps de guerres privées continuelles, de sortir de son château, en cas de siège et de retraite désespérée. Ces bâtisses étaient achevées depuis quelques jours, lorsque hier le baillif m’a dit : « — L’un des alliés du seigneur de Mont-Ferrier est venu le visiter, il a été frappé des travaux que tu as accomplis ; il veut augmenter les fortifications de son manoir, et le comte, notre maître, consent à te céder à son ami en échange d’un serf, très-habile armurier. — Je ne suis pas serf du seigneur de Mont-Ferrier, — ai-je répondu, — je me suis engagé à travailler ici librement. » — Le baillif haussa les épaules et reprit : « — Voici la loi : Tout homme non-franc qui habite plus d’un an et d’un jour la terre d’un seigneur, devient serf ou homme de corps dudit seigneur, et est comme tel taillable à merci et à miséricorde (F). Or, tu demeures ici depuis le dixième jour de juin de l’an 1034, nous sommes aujourd’hui le onzième jour du mois de juin de l’an 1035, donc il y a un an et un jour que tu vis sur la terre du seigneur de Mont-Ferrier ; donc tu es son serf, donc tu lui appartiens et il a le droit de t’échanger contre un serf du seigneur de Plouernel. Ne songe pas à résister aux volontés de notre maître, car Neroweg IV, seigneur et comte du pays de Plouernel, veut t’avoir et t’aura pour artisan maçon. Il a envoyé deux de ses hommes qui t’emmèneront de force, attaché à la queue d’un cheval, si tu refuses de marcher de bon gré. »

Je me serais résigné sans grand chagrin, me disant que pendant quarante ans j’avais vécu serf du domaine de Compiègne, et que peu m’importait de bâtir dans une seigneurie ou dans une autre, pourvu que je bâtisse ; mais une chose malgré moi m’alarme : souvent mon père m’a raconté qu’il tenait de son aïeul Guyrion, qu’une antique