Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 7.djvu/18

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croisés était cousue sur son épaule droite ; au bât de l’âne pendaient un bissac et une grosse outre remplie de liquide. En approchant des corps de l’homme et de la femme dont le nouveau-né venait d’être emporté par un vautour, le pèlerin dit à demi-voix en se parlant à lui-même : — Toujours des morts ! la route de Marhala est pavée de cadavres ! — En disant ces mots, il arriva près de l’endroit où, immobiles, se tenaient étendus sur le sable Jehanne et son mari. — Encore des trépassés ! — murmura-t-il en détournant la tête, et il donna deux coups de talons à son âne afin de hâter sa marche. À peine se fut-il éloigné de quelques pas, que, se redressant, s’élançant d’un bond, Fergan sauta en croupe de l’âne, saisit le voyageur par les épaules, le renversa en arrière, le fit cheoir de sa monture, et lui mettant ses deux genoux sur la poitrine il le contint en s’écriant : — Jehanne ! il y a une outre pleine accrochée au bât de l’âne ; prends-la vite et donne à boire à notre fils ! — La courageuse mère était hors d’état de marcher, mais se traînant sur les genoux et sur les mains jusqu’à l’âne, resté immobile après le désarçonnement de son maître, elle parvint à détacher l’outre du bât, et pleurant de joie, elle retourna vers son fils, se traînant de nouveau sur ses genoux, s’aidant d’une main, et de l’autre tenant l’outre, en disant : — Pourvu qu’il ne soit pas trop tard, mon Dieu ! et que notre enfant revienne à la vie ?

Pendant que Jehanne-la-Bossue s’empressait de donner à boire à son enfant, espérant encore l’arracher à la mort, Fergan luttait vigoureusement contre le voyageur, dont il ne pouvait distinguer les traits, la pèlerine de sa robe s’étant, lors de sa chute, complètement enroulée autour de sa tête ; cet homme, aussi robuste que le carrier, faisait de violents efforts pour échapper à l’étreinte du serf. — Je ne veux pas te faire du mal, — disait Fergan, continuant de lutter contre son adversaire. — Mon enfant meurt de soif, tu as dans ton outre de quoi boire, je te la prends ; car à ma demande, tu aurais répondu par un refus.