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Chronique de Guillaume de Puylaurens.

«… Ayant achevé ce qui pressait en cet endroit (à Lavaur), l’armée de Dieu vint en hâte en un château nommé Casser, et l’ayant attaqué et pris, elle y brûla environ soixante hérétiques qu’on y trouva (ch. 28, p. 238).

»… Ceux des Toulousains attaqués par Simon de Montfort qui purent sauter à bord d’un navire ancré au bord de la Garonne, s’échappèrent ; les autres furent noyés ou périrent par le glaive au milieu des champs, si bien que le nombre de morts a été porté à quinze mille » (ch. 22, p. 247).

Arrêtons-nous ici, chers lecteurs. Il faudrait multiplier à l’infini ces citations pour établir une sorte de martyrologe de toutes les villes du Languedoc et du pays d’Albigeois, dont les croisés catholiques firent des ruines et des ossuaires. Cependant, un dernier mot : il peint et résume à lui seul l’aveugle férocité du fanatisme religieux, les horreurs inouïes de cette guerre : la ville de Beziers est prise ; les chefs des croisés, au moment du carnage, consultent Arnaud Amalric, légat du pape et abbé de Citeaux, au sujet de savoir comment, pendant le massacre, on pourrait distinguer les catholiques des hérétique : — TUEZ LES TOUS ! — répondit le légat du pape — LE SEIGNEUR RECONNAÎTRA BIEN CEUX QUI SONT À LUI[1].

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L’ordre du prêtre fut exécuté. On tua tout… soixante mille personnes, hommes, femmes, enfants.

Vous frémissez d’épouvante, chers lecteurs ? et vous aussi, chères lectrices ? en regardant peut-être des enfants chéris et un époux bien-aimé ? Oh ! maudissez ces temps affreux ! maudissez ces guerres religieuses, dont la dernière (celle des Cévennes en Languedoc) fut une des hontes sanglantes du règne de Louis XIV. Oui, maudissez ces temps affreux, mais bénissez notre immortelle révolution de 1789-1792 ; elle seule, on enlevant légitimement au clergé la puissance exorbitante qu’il avait usurpée depuis la conquête franque, a pu dompter le fanatisme clérical qui, pendant des siècles, avait couvert le monde de ruines, de sang et de bûchers. Croyez-moi, chers lecteurs, grâce à la loi divine du progrès incessant de l’humanité, dont vous suivez la marche irrésistible à travers les âges, ces temps de superstition sauvage ne reviendront plus ; en vain les organes du parti ultramontain, écumant de haine et de rage, prêchent de nouvelles croisades, appellent à grands cris l’inquisition, en regrettant que l’on n’ait point brûlé Luther ! Inutiles clameurs !… De véritables disciples du Christ ce Dieu d’amour et de pardon, des prêtres, des prélats répudient avec une généreuse horreur ces féroces réminiscences d’un passé odieux[2]. Enfin, comparez la vie, les mœurs de la majorité du clergé de notre temps à la vie, aux mœurs du clergé pendant les siècles qui ont précédé la révolution ! I N’êtes-vous pas frappés des heureux changement qui se sont opéré ? Oh ! sans doute, récemment encore, de dangereuses velléités du retour aux traditions du bon vieux temps se sont audacieusement manifestées ; sans doute à cette heure des hommes aveugles et impitoyables rêvent encore la puissance effrayante de l’Église du moyen âge ; sans doute de déplorables empiétements ont eu lieu dans le domaine de l’enseignement ; sans doute, enfin il faut suivre constamment d’un œil vigilant et sévère les ténébreuses menées de ces incorrigibles ultramontains qui savent attendre, feindre, ruser, disparaître au besoin, pour arriver plus tard à leurs fins ; mais, répétons-le, de nos jours, la majorité du clergé. par ces mœurs (nous le voyons), par sa pensée (nous aimons à le croire), proteste contre les scandales et les horreurs que l’histoire a si justement flétris ; non, non, ces temps abhorrés ne reviendront plus ; le rôle du clergé est défini, limité par nos lois ; l’avenir, nous en avons la certitude, l’avenir complétera la grande réforme religieuse entreprise lors de notre immortelle révolution. L’une des premières mesures à prendre au nom du droit sacré de la liberté de conscience sera de séparer radicalement, absolument, les choses de l’Église des choses de l’État ; et, selon nous, qui respectons profondément toutes les croyances, le sacerdoce gagnera en dignité, en indépendance, ce qu’il pourra perdre en salaire et en influence.

Aux Bordes, 29 octobre 1851.

EUGÈNE SUE,...............................
Représentant du Peuple.
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  1. Ces paroles sont certifiées par plusieurs ouvrages ecclésiastiques. 1° L. V., chapitre XXI, de la Bibliothèque des abbés de Citeaux, t. II, p. 139 ; Raynaldi, Annales ecclésiastiques, 1209, f. 22, p. 186 ; Histoire du Languedoc, L. XXI, chap. LVII, p. 169.

  2. Voir l’un des derniers mandements de M. l’archevêque de Paris qui inflige une verte censure au journal l’Univers.