Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 7.djvu/228

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divine envers les jongleurs, ce sont ces nobles dégénérés, ces ladres, ces crasseux, ces grippe-sou, ces…

Mylio. — Sang-Dieu ! me permettras-tu de parler à mon tour ?

Peau-d’oie, d’un ton piteux et dolent. — Ah ! le bon temps des jongleurs est passé ! jadis on remplissait sans cesse leur escarcelle et leur ventre. Hélas ! nos pères ont mangé la viande, nous rongeons les os ! Maintenant, parle, Mylio, je serai muet comme ma mie Gueulette, la fille du cabaretier, quand je la prie d’amour, la cruelle ! parle, mon secourable compagnon, je t’écoute.

Mylio, avec impatience. — As-tu fini ?

Peau-d’oie. — Tu m’arracherais la langue plutôt que de me faire dire un mot, un seul mot de plus ! ma mie Gueulette elle-même, cette friponne dont le nez est si camus et le corsage si plantureux, me…

Mylio, s’éloignant. — Au diable le bavard !

Peau-d’oie court après le trouvère, et, imitant les gestes d’un muet, il semble lui jurer sur sa vielle qu’il ne prononcera plus un mot.

Mylio, revenant. — J’ai là, dans mon aumônière, dix beaux deniers d’argent ; ils seront à toi si tu me sers bien ; mais retiens ta langue, sinon à chaque parole superflue ce sera pour toi un denier de moins.

Peau-d’oie jure de nouveau par gestes sur sa vielle et sur son chapel de feuilles de vigne, qu’il restera muet.

Mylio. — Tu connais Chaillot, le meunier de l’abbaye de Cîteaux ?

Peau-d’oie fait un signe de tête affirmatif.

Mylio, souriant. — Tudieu ! maître Peau-d’Oie, vous êtes ménager de vos deniers d’argent. Donc ce Chaillot, ivrogne fieffé, a pour femme Chaillotte, fieffée coquine ; accorte en son temps, elle faisait bonne fête aux moines de Cîteaux lorsqu’ils allaient collationner à son moulin ; seule elle n’aurait pu tenir tête à ces rudes buveurs, aussi mandait-elle à son aide quelques gentilles serves de l’abbaye.