Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 7.djvu/229

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Il y a quinze jours, l’abbé Reynier, supérieur de l’abbaye de Cîteaux…

Peau-d’oie. — Si je ne craignais que cela me coûte un denier d’argent, je dirais que ce Reynier est le plus forcené ribaud, le plus méchant coquin que le diable ait tonsuré ! mais de peur de payer le dire de ces vérités par la perte de mon pécule, je reste muet !

Mylio. — En faveur de la ressemblance du portrait, je te pardonne l’interruption ; mais ne recommence plus ! Or, cet abbé Reynier me dit, il y a quinze jours : « — Veux-tu voir un trésor de beauté rustique ? viens demain collationner avec nous au moulin de l’abbaye, là se trouve une fillette de quinze ans ; sa tante la meunière l’a élevée à l’ombre pour en faire un jour un morceau d’abbé. Le moment viendra bientôt de croquer ce friand tendron ; je veux te faire juge de sa gentillesse. » — J’acceptai l’offre de l’abbé, j’aime à voir en débauche ces moines, que je hais ; ils me fournissent ainsi de bons traits pour mes satires. J’accompagnai donc au moulin le supérieur et quelques-uns de ses amis ; grâce aux provisions apportées de l’abbaye, la chère était délicate, le vin vieux, les têtes se montent, et à la fin du repas, cette infâme Chaillotte amène triomphalement sa nièce, une enfant de quinze ans, jolie ! mais jolie !… que te dirai-je ! une fleur de grâce et d’innocence… A sa vue, ces ribauds enfroqués, échauffés par le vin, se lèvent en hennissant d’admiration lubrique ; la pauvre petite, éperdue de frayeur, se recule brusquement, oubliant que derrière elle est ouverte une fenêtre sans appui et donnant sur la rivière du moulin…

Peau-d’oie, d’un air apitoyé. — Et la fillette tombe à l’eau ?

Mylio. — Oui, mais heureusement je m’élance… Il était temps : Florette, entraînée par le courant, allait être broyée sous la roue du moulin au moment où je l’ai retirée de la rivière.

Peau-d’oie. — Dût-il m’en coûter mes dix deniers, je crierai