Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 7.djvu/243

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bleues et roses : — Aigline, haute et noble dame de la Roche-Aubert, chanoinesse de Mons-en-Puelle, demanderesse contre sœur Agnès, religieuse bernardine.

Les deux plaideuses sortent de la foule et s’approchent de l’enceinte du tribunal, conduites par le Sénéchal des marjolaines. La chanoinesse Aigline est belle et grande, son air est impérieux. Elle s’avance, fière et superbe, vêtue d’une longue robe écarlate bordée d’hermine ; sa démarche délibérée, son regard noir, brillant et hardi, sa beauté altière, contrastent singulièrement avec l’humble attitude de son adversaire : sœur Agnès-la-Bernardine ; celle-ci porte une simple robe de bure grise, luisante et proprette, qui, malgré sa coupe austère, trahit le léger embonpoint de la nonnette ; un voile de lin, blanc comme la neige, encadre son visage éclatant de fraîcheur et de santé ; ses joues dodues et vermeilles sont duvetées comme une pêche ; un sourire, à la fois béat et matois, effleure sa bouche, quelque peu grande, mais d’un humide incarnat et meublée de dents perlées ; ses grands yeux bleus, amoureux, mais dévotement baissés ; son allure de chatte-mite, rasant la fine pelouse presque sans faire tressaillir les plis de sa robe, font de sa jolie personne une des plus appétissantes nonnains dont le sein ait jamais soupiré sous la guimpe. Au moment où la svelte et hautaine chanoinesse, accompagnée de la modeste et rebondie petite sœur grise, passe devant Giraud de Lançon, grand diable au teint basané, à l’œil de feu, préposé à la porte du prétoire amoureux ; il réclame des deux plaideuses son droit de péage : un beau baiser. La superbe Aigline jette ce baiser avec le dédaigneux orgueil d’un riche qui fait l’aumône à un pauvre ; sœur Agnès, au contraire, acquitte son péage avec tant de conscience et de suavité, que les yeux du portier brillent soudain comme des charbons ardents. La chanoinesse et la bernardine entrent dans l’enceinte réservée aux plaideurs. Aigline s’avance résolument au pied du tribunal, et, après s’être à peine inclinée, comme si cette preuve de déférence eût fort coûté à son orgueil, elle s’adresse ainsi,