Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 7.djvu/244

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’une voix sonore, à Marphise, trônant au lieu et place de Vénus, reine des amours :

— Gracieuse reine, daigne nous écouter, reçois avec bonté les plaintes de sujettes fidèles qui, jusqu’ici, ardentes pour ton culte, promettent de conserver toujours le même zèle ; longtemps tout ce qui était noble et preux se faisait gloire de nous aimer, nous autres chanoinesses ; mais voilà qu’aujourd’hui les nonnes grises, les bernardines, s’efforcent de nous enlever nos amis ; elles sont agaçantes, complaisantes, n’exigent ni soins, ni patients dévouements ; aussi les hommes ont-ils parfois la bassesse de nous les préférer. Nous venons donc, gracieuse reine, te supplier de réfréner l’insolence des bernardines, afin que désormais elles ne puissent plus prétendre à ceux qui sont faits pour nous, et pour qui, seules, nous sommes faites.

La Bernardine, à son tour, s’approche, si timidement, si modestement, ses mains blanchettes si pieusement jointes sur son sein rondelet, que tous les cœurs sont pour elle avant qu’elle ait parlé ; puis, au lieu de s’incliner à demi devant le tribunal, comme son accusatrice, la petite sœur grise, avec humilité, s’agenouille, et, sans même oser lever ses beaux yeux bleus, elle s’adresse ainsi à Marphise, d’une voix douce et perlée :

— Reine aimable et puissante, au service de qui nous sommes vouées pour la vie, nous autres pauvres bernardines, je viens d’entendre le reproche de nos fières ennemies… Quoi ! le Dieu tout-puissant ne nous a-t-il pas aussi créées pour aimer ? n’en est-il pas parmi nous d’aussi belles, d’aussi savoureuses que parmi ces chanoinesses si superbes ? L’hermine et l’écarlate ornent leurs habits, et les nôtres n’ont, dans leur simplicité, d’autre luxe que la propreté, j’en conviens ; mais, en récompense, nous avons des soins, des prévenances, des gentillesses qui valent bien, ce me semble, une belle robe. Les chanoinesses prétendent que nous leur enlevons leurs amis ?… Non, non, c’est leur seule fierté qui les écarte ; ainsi, attirés par notre angélique douceur, viennent-ils à nous. Plaire sans exi-