Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 7.djvu/314

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étant sans doute venue pour Alix de Montmorency de dire ses patenôtres, elle s’agenouille dans un coin de la chambre et murmure à voix basse son oraison, se frappant de temps à autre la poitrine, et restant étrangère à l’entretien du comte et du Parfait.

Montfort. — Écoute, je me connais en courage ; tu en as montré en venant ici, seul… dans l’antre du lion.

Karvel. — Ta femme m’a mandé au camp, en invoquant mon humanité… Tu es homme… tu souffrais… je suis accouru… Puis il m’a semblé bon de montrer une fois de plus : comment ces hérétiques, ces monstres… contre lesquels on déchaîne tant de fureurs, pratiquent la morale évangélique de Jésus… Tu es notre implacable ennemi, Montfort, et pourtant je suis heureux de t’avoir sauvé la vie.

Montfort. — Ne blasphème pas ! Tu n’as été que le vil instrument de la volonté du Seigneur, qui a voulu conserver mes jours, à moi, son serviteur indigne, à moi, l’humble épée de sa victorieuse Église… Mais, je te le répète, tu es un homme courageux, je voudrais sauver ton âme.

Karvel. — Ne prends point ce souci ; laisse-moi seulement retourner sur l’heure à Lavaur, où nos blessés m’attendent.

Montfort. — Non… tu ne partiras pas encore !

Karvel. — Tu as la force… j’obéis… (Après un moment de réflexion.) Puisque tu t’opposes à mon départ, puisque tu crois me devoir quelque reconnaissance, acquitte-toi en répondant sincèrement à mes questions.

Montfort. — Parle.

Karvel. — Ta vaillance est connue… tes mœurs sont austères… tu es humain envers tes soldats… On t’a vu, au passage de la Durance, faillir te noyer pour arracher au courant un piéton qui périssait.

Montfort, brusquement. — Assez, assez ! Tu n’éveilleras pas dans mon âme le démon d’orgueil ; je ne suis qu’un ver de terre !

Karvel. — Je ne te flatte pas… Tu es accessible aux sentiments