min pour l’autre femme, je dis à Wilhelm IX : « — Quel trésor de beauté que cette Rebecca, la juive qui vient de passer en litière ! » — Ah ! ah ! ah ! matrone ! — ajouta Perrette en recommençant de rire aux éclats, — grâce à cet heureux mensonge, mon débauché a de nouveau tourné bride et pris le galop vers son palais en fuyant la litière, non moins effrayé que s’il eût vu le diable ; et voilà comment, ce jour-là du moins, j’ai gardé mon duc !
— Le tour était bon, petite ribaude. Ah ça, et ton roi ?
— Le soir même de cette aventure, il est parti d’Antioche avec ses truands pour une expédition ; depuis je ne l’ai plus revu.
— Hé ! hé ! ma mie ! à défaut de ton roi, tu retrouveras ton duc ! tu es ici chez lui.
— Chez le duc d’Aquitaine ?
— Ce palais est celui de l’émir de Marhala ; après le siége de la ville, Wilhem IX s’est emparé de ce logis, il donne ce soir une fête à plusieurs seigneurs, la fine fleur de la croisade ; presque tous sont d’anciens commensaux de ma taverne d’Antioche : Robert-courte-Hense, duc de Normandie ; Heracle, seigneur de Polignac ; Bohémond, prince de Tarente ; Gerhard, comte de Roussillon ; Burchard, seigneur de Montmorency ; Vilhem, sire de Sabran ; Radulf, seigneur de Beaugency ; Heberhard, seigneur de Haut-Poul, et tant d’autres joyeux compères, non moins amoureux du cotillon que du vin de Chypre et des dés. Aussi, pour plaire à ses hôtes, le duc d’Aquitaine m’a-t-il chargé de rassembler ici le plus grand nombre possible de jolies filles de bonne volonté.
— Hélas ! c’est donc pour cette nuit seulement que tu m’engages ? vénérable matrone !
— Non, non ; toi et les autres, vous resterez dans ce palais jusqu’au départ de l’armée pour Jérusalem.
— Mais la maîtresse de Wilhelm, Azenor-la-Pâle, que dira-t-elle ?
— Azenor ne sort pas de son appartement ; elle ignorera ou feindra d’ignorer la chose.