Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 7.djvu/35

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— Ainsi le duc veut avoir un sérail comme les émirs sarrasins ?

— Ce cher et honoré seigneur caressait cette bienheureuse idée même en Gaule ; hé ! hé ! il voulait fonder à Poitiers une nombreuse communauté de courtisanes, dont l’abbesse eût été la plus grande impudique du pays !

— Et dont Wilhelm IX eût été l’abbé ?

— Pardieu !

— Digne patronne, si je reviens jamais en Gaule, foi de reine des ribaudes ! je demanderai au duc d’Aquitaine d’être l’abbesse de sa communauté !

L’entrée d’une troisième femme interrompit l’entretien de Gertrude et de Perrette, qui s’écria en courant au devant d’une jeune fille misérablement vêtue et que l’on venait d’introduire dans la salle basse : — Toi ici, Yolande ! toutes les anciennes maîtresses du duc d’Aquitaine se sont donc donné rendez-vous à Marhala ?

Yolande était toujours belle, mais sa physionomie avait depuis longtemps perdu ce charme ingénu qui la rendait si touchante, alors qu’elle et sa mère suppliaient Neroweg VI de ne pas les dépouiller de leurs biens, le regard d’Yolande, tour à tour hardi ou sombre, selon qu’elle s’étourdissait sur sa dégradante condition ou qu’elle en rougissait, témoignait du moins la conscience de son avilissement. À la vue de Perrette qui accourait vers elle avec un empressement amical, Yolande s’arrêta interdite, honteuse de cette rencontre avec la reine des ribaudes ; celle-ci, lisant sur les traits de la noble damoiselle un mélange d’embarras et de dédain, lui dit d’un ton de reproche : — Tu n’étais pas si fière lorsqu’à dix lieues d’Antioche je t’ai empêchée de mourir de soif et de faim ! Ah ! tu fais la glorieuse et tu viens ici comme moi en fille de bonne volonté !

— Oh ! pourquoi ai-je quitté la Gaule ? — reprit Yolande avec un douloureux abattement. — Réduite à vivre dans la misère avec ma mère, je n’aurais pas du moins connu l’ignominie ; je ne serais pas devenue courtisane ! Maudis sois-tu, Neroweg ! en me dépouillant de