Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 7.djvu/85

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farine d’orge. Jehanne et moi nous étions profondément touchés de cette généreuse hospitalité ; la douleur de notre enfant s’amoindrissait à chaque instant ; le vieillard nous fit comprendre, par un geste significatif, en ouvrant et fermant par trois fois les dix doigts de sa main et nous montrant mon fils étendu sur la natte, qu’il devrait rester pendant trente jours sans se lever, afin sans doute que les os de sa jambe brisée pussent se ressouder et se consolider. Grâce à la solitude où était enfouie cette maison, le temps nécessaire à la guérison de notre enfant s’écoula paisiblement ; ce furent les jours les plus heureux que nous eussions jusqu’alors connus. Le vieil Arabe, après avoir exercé envers nous l’hospitalité sans nous connaître, et au seul nom de l’humanité, s’attacha beaucoup à nous, touché de notre reconnaissance, que nous manifestions de notre mieux, et de la tendre affection qui nous unissait, ma femme et moi ; un jour il me prit par la main, me conduisit sur une hauteur escarpée d’où l’on découvrait au loin l’horizon, qu’il me désigna en me faisant un signe de tête négatif ; puis il me montra, au pied de la colline, cette tranquille demeure où nous vivions depuis près d’un mois ; je compris qu’il m’engageait à rester dans cette retraite ; je le regardais avec surprise : il mit une main sur sa poitrine, ferma les yeux en secouant mélancoliquement la tête, et il me montra la terre, voulant me dire qu’il était très-vieux, qu’il mourrait bientôt, ainsi que sa compagne, et que, si nous le voulions, leur maison, leur jardin et leur petit champ nous appartiendraient…

Ô Joel, notre aïeul ! je n’étais qu’un pauvre serf conduit à la croisade par la nécessité d’échapper, ainsi que ma femme et mon fils, aux vengeances de mon seigneur et aux horreurs du servage ; pourtant, dans ce moment suprême et pour obéir à tes dernières volontés, ô Joel ! j’ai accompli un sacrifice devant lequel eussent reculé peut-être des gens plus heureux que moi ! Je pouvais accepter l’offre du vieillard, finir mes jours libre, heureux, dans cette solitude, entre ma femme et mon fils ; mais j’étais dépositaire d’une partie des