Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 8.djvu/158

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d’un argent qu’il aurait pu leur prendre. Mais en sa qualité de bâtard d’un grand seigneur, le duc de Norfolk, il tenait, assurait-il, à faire les choses courtoisement, en véritable Anglais de la vieille Angleterre, et non point vilainement, comme ces bandes de routiers, de soudoyers et autres brigands des grandes compagnies qui, à la suite du pillage des maisons, ne pouvant les emporter, les brûlaient après avoir violé les femmes et massacré les hommes.

Le capitaine Griffith, homme dans la force de l’âge, robuste, corpulent, aux cheveux et à la barbe d’un blond ardent, déjà quelque peu grisonnants, chevauchait à la tête de ses archers, l’élite de sa troupe. Armé de toutes pièces, il avait suspendu son casque à l’arçon de sa selle et portait un bonnet de peau de renard. La hardiesse, la luxure et une sorte de jovialité cruelle se lisaient sur les traits de l’Anglais, enluminés par le vin et le suc des viandes, dont il engloutissait habituellement une énorme quantité avec une fabuleuse voracité. L’air matinal lui ayant ouvert l’appétit, si tant est que son appétit fût jamais assouvi, le bâtard de Norfolk mordait à belles dents un morceau de jambon, et, de temps à autre, accolait amoureusement une grosse outre pendue à ses arçons. À côté de lui chevauchait son lieutenant, qu’il appelait son chapelain par dérision impie ; car ce Griffith, âme mille fois damnée, comme dirait un prêtre, se plaisait à toutes sortes de sacriléges avec une joie diabolique digne du vieux Rolf, le pirate north-man, l’un des héros de cette race qui autrefois conquit l’Angleterre et aujourd’hui est en voie de conquérir la Gaule.

Ce chapelain, gros et grand coquin à trogne rouge, aussi vigoureux que son capitaine, portait par-dessus sa maille de fer une robe de moine et sur sa tête un morion d’acier.

— Mon fils, — dit-il au bâtard de Norfolk, — mon fils, tu n’es guère chrétien : voici trois fois que tu embouches cette outre, et tu laisses ton père en Belzébuth crever de male-soif !

— Tu me parais fort altéré, chapelain ; qu’as-tu donc mangé ?