Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 8.djvu/163

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— Par le diable, où sont donc les habitants de ces bicoques ?

— Les autres villages de cette seigneurie sont aussi déserts que celui-ci. Vous n’y trouverez, messire, ni femmes, ni hommes, ni enfants, ni bétail, — reprit le bailli. — Il ne reste, vous le voyez, que les quatre murs de ces maisons. Aussi, vous serait-il difficile de recouvrer céans la moindre parcelle de vos six mille florins. Je vous l’ai dit, Jacques Bonhomme est un fin renard ; il a eu vent de votre approche, et il s’est terré… pour vous échapper… mais à fin renard fin limier : je connais le terrier de Jacques Bonhomme ; donc, messire, suivez-moi.

— Et où cela ?

— À une lieue d’ici… mais il nous faudra descendre de cheval, vers la lisière de la forêt ; vous laisserez là le gros de votre troupe ; une douzaine de vos archers suffiront à la besogne que je médite.

— Pourquoi veux-tu que je descende de cheval et que je laisse derrière moi le gros de ma troupe ?

— D’abord, messire, il nous serait impossible de traverser à cheval les fondrières, les fourrés, les marécages où il nous faudra pénétrer avant d’arriver au terrier de Jacques Bonhomme ; ensuite le renard a l’oreille fine, et le bruit d’une grande troupe d’hommes armés lui donnerait l’éveil.

— Capitaine, — dit le lieutenant, — si ce coquin nous conduisait à quelque embuscade ?

— Chapelain, jamais Griffith n’a reculé devant le danger, — reprit le capitaine, — et d’ailleurs si ce bailli à museau de fouine nous trompait, qu’il se tienne pour averti : aux premiers soupçons d’une embûche, nous le découpons proprement en morceaux.

— C’est juste, — répondit le chapelain ; — en route !

— En route ! — répéta Griffith. Et la troupe, guidée par le bailli, que ses hommes avaient rejoint, quitta le village de Cramoisy et se dirigea vers une vaste forêt dont la lisière verdoyante s’étendait à l’horizon.