Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 8.djvu/188

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

a fait pendre quelques-uns de ces croquants et noyer celui que j’avais vaincu en combat judiciaire.

— Tiens, je voudrais bien voir noyer un vilain ! moi, — cria la voix d’un enfant de douze ans, le fils du sire de Bourgueil. — J’en ai vu fouetter, essoriller, pendre et écarteler des vilains, mais point je n’en ai vu noyer ! Mon père, vous ferez noyer un vilain… pour voir… n’est-ce pas ?

— Mon fils, — répondit à l’enfant le sire de Bourgueil d’un ton doctoral, — votre interruption est messéante… vous deviez attendre que le sire chevalier eût fini de parler et alors m’exprimer votre désir.

— Ce manant que j’avais vaincu, — poursuivit Gérard de Chaumontel, — ce manant, au moment de prendre son premier et son dernier bain, eh, eh, eh ! ne m’a-t-il pas dit à moi, d’une voix de diable enrhumé : « Tu me fais noyer, tu seras noyé. » N’a-t-il pas dit à Conrad : « Tu as forcé ma femme, ta femme sera forcée. »

— Allons, il est ivre ! — dirent en murmurant quelques assistants. — Il déraisonne !

— Cette lugubre histoire de pendus et de noyés est incongrue en un jour de noces !

— Assez ! chevalier, assez !

— Cuvez en paix votre vin, bon sire !

— Attendez que je vous prouve… en quoi je suis un homme des plus singulièrement divinatoires… — reprit Gérard. Mais les huées couvrent sa voix, et le sire de Nointel, frissonnant malgré lui au souvenir funèbre, évoqué par son ami, prend la main de Gloriande, que les damoiselles d’honneur entourent, et lui dit en se dirigeant avec elle vers la chambre nuptiale :

— Venez, n’écoutez pas ce fou, il est ivre… venez, ma bien-aimée… venez.

Tout à coup un écuyer, livide, ensanglanté, paraît comme un spectre à la grande porte de la galerie… fait deux pas, chancelle, tombe sur