Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 8.djvu/37

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crainte ; aussi quelques sourds murmures couvrirent-ils les dernières paroles du notaire ; mais ils firent place à l’angoisse et à la commisération de tous, lorsque, amené par les hommes d’armes du seigneur, le condamné parut devant le portail de l’église. Mazurec-l’Agnelet, âgé d’environ vingt ans, avait dû à la bénignité de ses traits, à la douceur de son caractère, son surnom d’Agnelet ; mais en ce jour, il semblait transfiguré par le malheur et le désespoir. Sa physionomie farouche, contractée, ses vêtements en lambeaux, son teint livide, ses yeux fixes, ardents, rougis par les larmes et l’insomnie, sa chevelure hérissée, lui donnaient un aspect effrayant. Deux hommes d’armes délivrèrent le condamné de ses liens, puis, pesant fortement sur ses épaules, le forcèrent de tomber agenouillé aux pieds du sire de Nointel qui riait avec ses amis de l’abjecte soumission de Jacques Bonhomme. Bientôt le notaire royal dit à haute voix : — La réparation et amende honorable du condamné envers son seigneur doivent avoir pour témoins ceux-là qui ont assisté au mariage dudit Mazurec. Que ceux-là viennent.

À ces mots, Mahiet-l’Avocat vit sortir des premiers rangs de la foule Guillaume Caillet et un autre serf dans la vigueur de l’âge, nommé Adam-le-Diable. À la sueur qui baignait son visage osseux et hâlé, on devinait que ce paysan venait de parcourir rapidement une longue route. Mahiet, d’abord frappé de l’air déterminé d’Adam-le-Diable, le vit soudain, pour ainsi dire, se métamorphoser, ainsi que son compère Guillaume Caillet ; car tous deux, feignant l’hébètement et une humilité craintive, baissant les yeux, courbant l’échine, traînant la jambe, ôtèrent leur bonnet d’un air piteux en s’approchant du notaire royal. Guillaume le salua par deux fois jusqu’à terre en lui disant d’une voix tremblante :

— Pardon… excuse… messire, si je venons seuls, mon compère et moi ; mais les deux autres témoins de la noce, Michaud-tue-pain et Gros-Pierre, ont comme ça pris la fièvre l’autre jour en curant les marais de notre bon seigneur, et ils claquent des dents et tremblot-