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Chers lecteurs,


J’achève dans l’exil cet ouvrage forcément interrompu depuis longtemps ; votre bienveillance, dont vous m’avez autrefois donné tant de gages, me soutiendra, je l’espère, jusqu’à la fin de mon œuvre.

Le récit suivant se compose de deux parties distinctes : la première vous peindra l’invasion de la France par les Anglais, à la suite de la captivité du roi Jean et de la honteuse défaite de la noblesse franque à la bataille de Poitiers, désastres qui amenèrent, en 1357 et 1358, la grande révolution de Paris et la Jacquerie.

Dans la seconde partie de notre récit, formant un épisode complet, et précédé, comme celui-ci, d’une introduction, vous assisterez, chers lecteurs, à la délivrance du pays par Jeanne d’Arc, la fille du peuple. La pauvre bergère de Domrémi devait venger la France des lâchetés de sa noblesse et de ses rois, chasser l’Anglais… et être brûlée vive, comme sorcière, par des prêtres du Christ…

La Révolution de Paris et la Jacquerie, tels sont donc les sujets de ce premier épisode : le Trépied de fer et la Dague, ou Mahiet-l’avocat d’armes.

L’on a beaucoup parlé de la Jacquerie dans ces derniers temps, et, soit ignorance, soit mauvaise foi, soit calcul, l’on a voulu établir entre le présent et le passé des analogies sinistres. Il n’y en a pas de possible ; un abîme sépare la civilisation moderne de la barbarie du moyen âge. La Jacquerie de 1358 été une sanglante représaille de la victime contre son bourreau séculaire, du vassal révolté contre son seigneur, du peuple conquis insurgé contre ses conquérants ; de la race gauloise asservie, se levant en masse contre la race franque, dominatrice et oppressive depuis huit siècles.

Vous avez assisté, chers lecteurs, aux tortures subies par les Gaulois, devenus tour à tour esclaves, serfs et vassaux des Francs, depuis la conquête de Clovis ; la Jacquerie a été la vengeance des serfs contre les seigneurs, vengeance légitime si l’on en croit ces paroles de l’Écriture : Œil pour œil, dent pour dent, représailles légitimes comme la terrible et fatale loi du talion, seule loi des époques barbares.

Cette opinion sur la Jacquerie n’est pas seulement la nôtre, elle est l’opinion d’éminents historiens dont l’autorité est irrécusable, elle est encore l’opinion des chroniqueurs contemporains des faits.


Citons les textes :


« Dans cette guerre chevaleresque que se faisaient à armes courtoises les nobles de France et d’Angleterre, — dit Michelet, — il n’y avait au fond qu’un ennemi, une victime des maux de la guerre, c’était le paysan… Avant la guerre, celui-ci s’était épuisé pour fournir aux magnificences des seigneurs, pour payer ces belles armes, ces écussons émaillés, ces riches bannières qui se firent prendre à Crécy et à Poitiers. Après, qui paya la rançon ?… Ce fut encore le paysan.

« Les nobles prisonniers, relâchés sur parole, vinrent sur leurs terres ramasser vitement les sommes monstrueuses qu’ils avaient promises sans marchander sur le champ de bataille ; le bien du paysan n’était pas long à inventorier : maigres bestiaux, charrues, charrettes, quelques ferrailles ; de mobilier, il n’y en avait point. Cela pris et vendu, que reste-t-il sur quoi le seigneur eût recours ? Le corps, la peau du pauvre diable : on tâchait encore d’en tirer quelque chose ; apparemment le rustre avait quelque cachette où il enfouissait ; pour le lui faire dire, on le travaillait rudement, on