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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 8.djvu/42

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trompe ou de clairons ; les valets des chevaliers combattants sont aussi en cet endroit, prêts à retirer leurs maîtres de la mêlée, ou à les secourir lorsqu’ils tombaient de cheval, car ces preux tournoyeurs, par crainte de risquer leur peau, sont couverts d’armures si épaisses, si pesantes qu’ils peuvent difficilement remuer. En dedans de ces barrières, l’on voit encore les hérauts et sergents d’armes chargés de maintenir l’ordre dans le tournoi et de juger les coups douteux (C). La plèbe de la ville et des campagnes voisines, accourue à ce spectacle au sortir de la messe, se presse au dehors des lices ; rien de plus déguenillé, de plus hâve, d’un aspect plus misérable, plus poignant que cette foule dont les labeurs écrasants fournissent seuls aux folles prodigalités de leurs seigneurs. La seule consolation de ces pauvres gens hébétés et craintifs est de pouvoir assister de loin, comme en ce jour, aux somptuosités qu’ils payent de leurs sueurs, de leur sang ; aussi, sortant de leurs huttes de terre, où, épuisés par la faim, brisés de fatigue, ils couchent chaque soir pêle-mêle sur le sol fangeux, comme des bêtes dans leur tanière, les vassaux contemplent avec une surprise mêlée parfois d’une haine farouche (Jacques Bonhomme commence à réfléchir) la brillante assemblée couverte de soie, de velours, de broderies et de joyaux qui remplit un vaste amphithéâtre orné de tapis et de riches tentures, élevé sur toute la longueur de l’un des côtés du champ clos et réservé aux nobles dames, aux seigneurs et aux prélats du pays. De chaque côté de cet amphithéâtre abrité contre le soleil et la pluie par des velariums, sont deux tentes destinées aux chevaliers qui prennent part aux joutes ; là ils revêtent leurs lourdes armures avant le combat, là encore on les transporte, lorsque, par suite d’une chute de cheval, ils ont été contus. De nombreuses bannières aux armes du sire de Nointel flottent au sommet des poteaux qui entourent la lice. La reine du tournoi est Gloriande, noble damoiselle, fille de Raoul, comte et seigneur de Chivry, et fiancée depuis un mois à Conrad de Nointel. Magnifiquement parée d’une robe de soie incarnate brochée d’or, ses cheveux noirs tressés de perles, grande et re-