Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 8.djvu/63

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escarpés, mais de l’autre, ils sont bordés de nombreuses touffes de roseaux ; on la traverse sur un pont de bois : à droite de ce pont sont plantés quelques vieux saules. Ils viennent d’être ébranchés à coups de hache, moins quelques gros rameaux fourchus assez forts pour servir de potences. Là sont déjà pendus les corps de quatre des vassaux restés prisonniers après leur rébellion ; les corps de ces suppliciés se dessinent comme des ombres sur la limpidité du ciel crépusculaire ; la nuit s’approche rapidement. Debout, au milieu du pont et entouré de ses amis, au milieu desquels se trouve Gérard de Chaumontel, le sire de Nointel fait un signe, et le dernier des révoltés restés captifs est, malgré ses cris, ses prières, pendu comme ses compagnons, à la saulaie de la rive. Alors un homme apporte sur le pont un grand sac de grosse toile grise, pareil à ceux dont se servent les meuniers ; une forte corde passée à son orifice en forme de coulisse permet de fermer étroitement ce sac. L’on amène Mazurec-l’Agnelet étroitement garrotté ; il s’est tenu jusqu’alors assis à l’une des extrémités du pont, à côté du curé. Celui-ci, après avoir été faire baiser le crucifix aux serfs que l’on a pendus, est revenu près du patient que l’on va noyer. Mazurec n’est plus reconnaissable : sa figure meurtrie, couverte de sang caillé, est hideuse ; l’un de ses yeux a été crevé et son nez écrasé sous les coups furieux qu’après sa défaite lui a portés le chevalier de Chaumont avec son gantelet de fer. Le bourreau entr’ouvre l’orifice du sac, tandis que le bailli de la seigneurie s’approche de Mazurec et lui dit : — Vassal, ta félonie est notoire, tu as osé accuser de larcin Gérard, noble homme de Chaumontel. Il en a appelé au duel judiciaire où tu as été vaincu et convaincu de mensonge et de diffamation ; tu vas être, selon l’ordonnance royale, noyé jusqu’à ce que mort s’ensuive.

Mazurec s’approche à pas lents, et au moment où l’on va le saisir pour l’enfermer dans le sac, il lève la tête et, s’adressant au sire de Nointel et à Gérard, il leur dit, comme inspiré par une exaltation prophétique :