Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 8.djvu/64

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— On dit au pays que les gens qui vont périr sont devins ; moi, voilà ce que je prédis : — Gérard de Chaumontel, tu m’as volé et tu me fais noyer, tu seras noyé… Toi, sire de Nointel, tu as violenté ma femme, ta femme sera violentée ; ma femme mettre peut-être au jour un fils de noble ; ta femme mettra peut-être au jour un fils de serf.

À peine Mazurec-l’Agnelet achevait-il ces paroles que le bourreau se mit en devoir d’enfermer le patient dans le sec ; Conrad pâlit, tressaillit à la sinistre prédiction de son vassal et ne put prononcer un mot ; mais Gérard de Chaumontel, s’adressant au serf que l’on casaquait, se mit à rire, en lui montrant du geste les cinq pendus qui se balançaient au vent du soir et que l’on apercevait encore vaguement comme des spectres à travers les pâles clartés du soir :

— Regarde les cadavres de ces vilains qui ont osé se rebeller contre leurs seigneurs ! Regarde l’eau qui coule sous ce pont et qui va t’engloutir… et crois-moi, si Jacques Bonhomme ose encore broncher, nos longues lances pour le percer, les arbres branchus pour le pendre, et les rivières pour le noyer, ne nous feront pas défaut, et comme aujourd’hui Jacques Bonhomme expiera sa révolte dans les supplices.

Pendant ces dernières paroles du chevalier, Mazurec a été enfermé dans le sac ; au moment où ses bourreaux vont le précipiter dans la rivière, la voix sépulcrale du vassal crie une dernière fois du fond de son linceul :

— Gérard de Chaumontel, tu seras noyé… Sire de Nointel, ta femme sera violentée…

Un éclat de rire méprisant du chevalier répondit à la prédiction du serf, et au bout d’un instant l’on entendit, au milieu du silence de la nuit, le bruit du corps de Mazurec-l’Agnelet tombant dans les eaux rapides et profonde de la rivière.

— Viens, viens, — dit le seigneur de Nointel d’une voix altérée, — retournons au château, ce lieu m’épouvante. La