Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 9.djvu/119

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faites. Dunois, Lahire, Xaintrailles, le maréchal de Retz, capitaines expérimentés, remarquaient l’exaltation de leurs soudards, la veille encore si découragés. Le sire de Gaucourt, observant l’influence exercée par la Pucelle, non-seulement sur les miliciens d’Orléans, mais encore sur une soldatesque farouche, devenait de plus en plus sombre et secrètement courroucé. Jeanne continuait de s’avancer lentement vers la maison de Jacques Boucher à travers une foule idolâtre, lorsque le cortège fut un moment arrêté par un détachement d’hommes d’armes, sortant des rues latérales à la voie de la porte Banier ; ils conduisaient deux prisonniers anglais et marchaient de compagnie avec un grand et gros homme d’une figure aussi joviale que résolue ; Lorrain de naissance, mais depuis longtemps citoyen d’Orléans, il se nommait maître Jean, et passait, à bon droit, pour le meilleur canonnier-coulevrinier de la ville. Ses deux énormes bombardes, baptisées par lui Riflard et Montargis, placées au dedans des piliers du pont, sur la redoute de Belle-Croix, et qu’il pointait sans jamais manquer son coup, causaient de nombreux dommages aux Anglais : ils le redoutaient et l’abhorraient. Notre gai coulevrinier n’ignorait pas cette haine, car ses canons servaient toujours de point de mire aux archers anglais ; aussi parfois s’amusait-il à feindre d’être tué ; soudain il s’affaissait à côté de l’une, de ses bombardes. Les canonniers, citadins comme lui, le relevaient, l’emportaient, en poussant des gémissements lamentables ; les Anglais triomphaient de ce deuil ; mais le lendemain ils revoyaient maître Jean plus joyeux, plus dispos que jamais[1], pointer encore contre eux, et à leur grand désastre, Riflard et Montargis. Quelques jours après, il contrefaisait de nouveau le mort et ressuscitait à miracle. Donc maître Jean marchait de compagnie avec les soudards qui amenaient deux prisonniers anglais ; à la vue de la guerrière, il s’approcha d’elle, la contempla pendant un moment, ému de respect et

  1. Journal du siége d’Orléans, vol. IV, p. 105.