Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 9.djvu/120

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d’admiration ; puis il lui tendit sa large main en disant non sans une sorte d’orgueil :

— Vaillante Pucelle, voyez en moi un pays ! je suis, comme vous, né en Lorraine… et à votre service, ainsi que Riflard et Montargis, mes deux gros canons.

Dunois, se penchant vers Jeanne, lui dit à demi-voix :

— Ce brave homme est maître Jean… le meilleur et le plus hardi coulevrinier qui soit ici ; il est de plus très-expert en ce qui touche le siége d’une ville.

— Je suis contente de rencontrer ici un pays… — répondit la Pucelle en souriant et tendant cordialement son gantelet au canonnier. — J’irai voir demain matin manœuvrer Riflard et Montargis ; nous examinerons ensemble les retranchements de l’ennemi, vous serez mon maître en artillerie, et nous chasserons les Anglais à coups de canon… Dieu aidant !

— Payse ! — s’écria maître Jean transporté d’aise, — rien qu’à vous voir mes bombardes partiraient toutes seules et leur boulet irait droit au but…

Le coulevrinier prononçait ces mots, lorsque Jeanne entendit un cri douloureux et, du haut de son cheval, vit l’un des deux prisonniers anglais emmenés par les soldats tomber soudain à la renverse, sanglant, le crâne ouvert par un coup de manche de pique, que l’un de ces soudards venait de lui asséner sur la tête en s’écriant :

— Regarde bien Jeanne-la-Pucelle… chien de goddon[1] ! aussi vrai que je t’assomme, elle vous boutera tous hors de France !

La guerrière, à l’aspect du sang dont elle avait horreur, pâlit et, par un mouvement plus prompt que la pensée, sauta en bas de son cheval, navrée de la brutalité du soldat, courut à l’Anglais, s’agenouilla près de lui, et soulevant la tête ensanglantée de ce malheureux, s’écria les larmes aux yeux en s’adressant à ceux qui l’entouraient : 


  1. Procès, t, III, p, 71.