Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 9.djvu/121

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— Prenez-le à merci, il est désarmé… venez à son secours[1].

À cet appel miséricordieux quelques femmes, émues de pitié, entourèrent le blessé, déchirèrent leurs mouchoirs et bandèrent sa plaie, tandis que la guerrière, toujours agenouillée, soutenait la tête de l’Anglais. Il reprit ses sens, et à l’aspect du beau visage de la jeune fille, empreint de compassion, il joignit les mains avec adoration et pleura…

— Va, pauvre soldat ! ne crains rien, l’on ne te fera plus de mal ! — lui dit Jeanne en se relevant ; et elle mit le pied à l’étrier que lui présentait son petit page Imerguet.

— Fille de Dieu, vous êtes une sainte ! — s’écria une jeune femme exaltée par l’acte si charitable dont elle venait d’être témoin ; et se jetant à genoux devant la guerrière au moment où elle allait enfourcher sa monture : — Par grâce, daignez toucher mon anneau ? — Et elle élevait sa main vers Jeanne. — Ainsi bénie par vous, je conserverai cette bague comme une pieuse relique.

— Je ne suis pas une sainte, — répondit la guerrière avec un sourire ingénu. — Vous êtes sans doute bonne et digne femme, vous valez autant que moi[2].

Ce disant, Jeanne, remontant à cheval, fut saluée des nouvelles acclamations de la foule. Charmés de tant de modestie, les soldats les plus endurcis furent touchés des sentiments de commisération dont elle venait de faire preuve en faveur d’un ennemi désarmé. Loin de la taxer de faiblesse, ils admiraient malgré eux sa générosité.

Maître Jean acclamait sa payse avec frénésie, les cris de Noël à Jeanne ! Noël à la libératrice d’Orléans ! éclatèrent comme un tonnerre ; et presque soulevée, elle et son cheval, par le flot populaire, Jeanne arriva devant la maison de maître Jacques Boucher. Debout, au seuil de sa porte, ayant près de lui sa femme et sa fille Madeleine, il attendait sa jeune hôtesse, et l’introduisit, ainsi que les échevins

  1. Déposit. de Louis Leconte, t. III, p. 72.
  2. Procès de réhab., t. III, p. 87