Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 9.djvu/135

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sinait sa taille flexible et robuste. Elle avait alors les épaules et le sein demi-nus, elle se hâta de croiser sa camise entr’ouverte, rougissant d’un chaste embarras, quoiqu’elle fût en présence d’une jeune fille de son âge ; mais telle était la pudeur de Jeanne, qu’en une pareille occurrence elle eût rougi devant sa mère !… Endossant ensuite un justaucorps de buffle légèrement rembourré de crin et déjà noirci par le frottement de l’armure, elle ajusta son corselet de fer ; Madeleine le laça de son mieux, soupirant et ne pouvant retenir ses pleurs.

— Puisse cette cuirasse vous protéger, Jeanne, contre l’épée des ennemis ! Hélas ! hélas ! une jeune fille guerroyer ! affronter tant de périls !

— Ah ! chère Madeleine, avant de quitter Vaucouleurs, je disais au sire de Baudricourt, grâce à qui j’ai pu parvenir jusqu’au dauphin de France : « J’aimerais mieux rester à coudre et à filer auprès de ma pauvre mère ; mais il faut que j’accomplisse ce pour quoi Dieu m’envoie… »

— Cette mission, pour l’accomplir, que de dangers vous avez courus ! vous allez courir encore !

— Le danger m’inquiète peu ; je m’en remets à la volonté du ciel… Ce qui me navre, c’est que l’on ne se hâte pas de m’employer ; ces lenteurs sont funestes à la Gaule… il me semble que je ne dois pas vivre longtemps[1]

La vierge guerrière prononça ces derniers mots avec une mélancolie si douce, que les pleurs de Madeleine redoublèrent ; laissant sur un meuble le casque qu’elle s’apprêtait d’offrir à sa compagne, elle se jeta dans ses bras sans prononcer une parole et l’embrassa en sanglotant, comme elle eût embrassé sa sœur à l’heure suprême d’une séparation éternelle. Dame Boucher entra en ce moment, et dit précipitamment : 


  1. Procès, t. I, p. 30.