Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 9.djvu/167

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où elle fût replacée au sortir du bateau, désirant, par modestie, n’être pas reconnue durant le trajet du quai au logis de son hôte ; car toutes les fenêtres étaient illuminées. Mais, invisible à tous, elle fut témoin de la joie délirante qu’inspirait son dernier triomphe à la population répandue dans les rues ; on eût dit une soirée de fête, l’espérance épanouissait tous les visages. La Pucelle avait, en deux jours, détruit ou enlevé trois des plus redoutables fortifications des Anglais, délivré grand nombre de prisonniers (il s’en trouvait plus de huit cents dans le seul couvent des Augustins) ; en vertu de la confiance qu’elle inspirait l’on ne doutait plus du bon succès de l’assaut du lendemain, les Tournelles seraient enlevées, et, ainsi qu’elle l’avait promis de par Dieu, l’ennemi lèverait le siége d’Orléans.

La Pucelle, cachée sous le manteau qui la couvrait, fut transportée chez Jacques Boucher. Sa femme et sa fille, aussi instruites de la victoire du jour par la clameur publique, mais pleines d’anxiété sur le sort de la victorieuse, la voyant apporter étendue sur un brancard, furent d’abord saisies d’effroi ; mais bientôt Jeanne les rassura, les assurant qu’avec leur aide elle pourrait monter à sa chambre. Là, elle reçut de ses hôtesses les soins empressés dont sa chasteté n’avait pas à s’offenser ; Madeleine et sa mère, ainsi que toutes les femmes de ce temps-ci, possédaient quelques notions du pansement des plaies ; elles appliquèrent l’huile, le baume, le lin, sur la blessure de l’héroïne, après l’avoir désarmée, remarquant avec inquiétude son armure faussée, éraillée, ou même fortement entamée en vingt endroits par des coups de lance ou d’épée. De nombreuses contusions, bleuâtres, douloureuses, résultant de tant de chocs, amortis grâce à sa cuirasse et à ses brassards, meurtrissaient çà et là le corps de Jeanne, ressentant seulement alors les souffrances, les fatigues, auxquelles sa vaillante énergie l’avait rendue insensible durant l’acharnement du combat. Elle prit un peu de nourriture, fit sa prière du soir, remercia Dieu et ses saintes de l’avoir soutenue dans ces luttes sanglantes, implorant leur aide pour la bataille du lendemain. La guerrière se pré-