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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 9.djvu/168

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parait à demander au sommeil un repos réparateur, lorsque maître Boucher, ayant frappé à la porte, demanda d’être introduit près de Jeanne, pour un motif aussi urgent qu’important. Elle s’enveloppa en hâte de l’une des robes de Madeleine afin de recevoir la visite de son hôte, et fut tout d’abord frappée de l’indignation, du courroux, dont ses traits étaient empreints ; car, en entrant, il s’écria devant sa femme et sa fille, non moins inquiètes que la guerrière :

— Quelle impudence ! j’ai peine à la concevoir ! Savez-vous, Jeanne, qui je viens de voir à l’instant ?… Le sire de Gaucourt… — Et à un mouvement interrogatif que fit la guerrière, son hôte ajouta : — Croiriez-vous que cet homme a déjà oublié la rude leçon de ce matin ? Croiriez-vous qu’à son instigation les capitaines, réunis ce soir après souper, ont décidé (je vous répète textuellement les paroles de ce Gaucourt), ont décidé que : vu le petit nombre des compagnies d’hommes d’armes réunies dans Orléans, le conseil de guerre s’oppose à la bataille de demain, déclarant que l’on doit se tenir satisfait des succès remportés jusqu’ici, attendre des renforts… et, jusqu’à leur arrivée, ne rien tenter contre les Anglais[1]. Je suis chargé, Jeanne, de vous faire connaître cette détermination, afin que vous vous y conformiez…

— C’est une odieuse trahison ! — s’écria dame Boucher, fort étrangère au métier des armes, mais frappée de l’indignité de la décision des chevaliers. — Quoi ! rester dans nos murs à la veille d’un dernier triomphe qui doit délivrer la cité !

— J’ai nettement parlé en ce sens au sire de Gaucourt, — poursuivit Jacques Boucher. — J’ai consenti à communiquer à Jeanne le résultat du conseil des capitaines, déclarant d’avance que j’étais certain qu’elle refuserait de leur obéir, et qu’en ce cas, l’appui des échevins et des bonnes gens d’Orléans ne lui manquerait pas…

— Vous avez répondu, messire, ce que j’aurais répondu moi--

  1. Textuel. Déposition de frère Jean Pasquerel, confesseur de Jeanne, qui la confessa le jour même. Procès de rev., t. III, p. 108-109.