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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 9.djvu/182

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qu’il ne pourrait inspirer la moindre crainte au roi. Elle lui donne donc rendez-tous à Gien, le suppliant de s’y trouver sous huit jours, lui promettant qu’il pourra sans danger se mettre alors en route pour Reims. Cette promesse faite avec l’espoir, Dieu aidant, de l’accomplir, la guerrière quitte la cour.

Le 12 juin 1429, Jeanne enlève la place forte de Meung, celle de Jargeau le 17 du même mois, et celle de Beaugency le 18. Elle déploie dans ces assauts la même valeur, le même génie militaire, que lors du siège d’Orléans, manque d’être tuée devant Jargeau ; puis va gagner en rase campagne la grande bataille de Patay, où toutes les forces des Anglais étaient réunies sous les ordres de leurs plus illustres chefs, le Sire de Talbot, les comtes de Warwick, de Suffolk, et autres qui sont faits prisonniers. Jeanne, lors de ce long et sanglant combat, se montra l’égale des plus fameux capitaines par la hardiesse de ses manœuvres, par la promptitude de son coup d’œil, par l’usage qu’elle fit de l’artillerie, par l’élan extraordinaire quelle sut communiquer aux troupes, grâce à son assurance et à son humeur enjouée. Un moment avant l’action elle dit gaiement au duc d’Alençon ces mots dignes des temps antiques de la Gaule :

— Beau sire… avez-vous de bons éperons ?

— Quoi… — reprit le duc surpris, — des éperons… pour fuir ?

— Non, messire… mais pour poursuivre[1]… — répondit Jeanne. Et l’ennemi, après sa défaite, est poursuivi la lance dans les reins, durant une retraite de trois lieues. Mais ces victoires furent remportées par la guerrière, non moins sur les Anglais que sur la méchante perfidie de la plupart des chefs de guerre, dont la jalousie contre l’héroïne augmentait en mesure de ses triomphes ; elle ne doutait plus de leur secrète animosité. Dès lors un vague pressentiment lui dit qu’elle serait trahie, livrée par eux ; mais elle avait dès longtemps fait le sacrifice de sa vie.


  1. Procès de révision, t, II. p. 70. Déposition du duc d’Alençon.