Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 9.djvu/183

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Jeanne, espérant que ses derniers triomphes mettraient enfin terme aux indécisions de Charles VII, retourne auprès de lui :

« — Sire, Meung, Beaugency, Jargeau, emportés d’assaut, est-ce assez ? Les Anglais vaincus en bataille rangée à Patay, est-ce assez ? Talbot, Warvick, Suffolk, prisonniers, est-ce assez ? Hésiterez-vous encore à me suivre à Reims, où vous serez sacré… de par Dieu ? »

Le royal couard n’hésite point… Non, il refuse net… Les Anglais étaient, il est vrai, chassés de Touraine ; mais ils tenaient encore les provinces qu’il fallait traverser pour se rendre à Reims, et plus que jamais le royal couard tenait à sa peau.

Jeanne, cette fois, ne put surmonter son dégoût, son indignation douloureuse ; n’espérant plus rien de ce lâche, elle voulut l’abandonner à ses destins. Désespérée, elle dépose son armure, quitte la cour, à l’insu de tous, et va errer toute la journée dans les champs en proie aux plus affligeantes réflexions, et songeant à s’en retourner à Domrémy. Le soir venu, s’apercevant qu’elle s’est égarée, elle va demander l’hospitalité dans une pauvre métairie de Touraine[1]. Jeanne, sans armes, vêtue de ses habits d’homme, ressemblait à un jeune page ; elle est accueillie comme tel par les bonnes gens qui lui donnent asile ; ils la reçoivent de leur mieux, lui font place à leur foyer. Elle s’y asseoit ; bientôt le paisible aspect de cette rustique demeure lui rappelle le temps heureux de sa première enfance passé à Domrémy. Ces doux souvenirs de la maison paternelle arrachent à Jeanne des larmes involontaires ; ses hôtes, frappés de sa tristesse, l’interrogent avec un timide et respectueux intérêt.

— Comment pleurer en de si beaux jours, — lui disent-ils naïvement, — en ces beaux jours de délivrance pour la Gaule ! et surtout pour les pauvres paysans comme nous ! à jamais délivrés des Anglais par la pitié du Seigneur Dieu et par la vaillance de Jeanne-la-Pucelle, notre ange sauveur !

Dans l’enthousiasme de leur reconnaissance, ils montrent à la

  1. Chronique de la Pucelle, t. III, p. 429 ; ap. Quicherat.